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«Le changement pacifique nécessite l'implication du peuple» William B. Quandt, enseignant en sciences politiques à l'université de Virginie au Temps d'Algérie :
Le politologue et enseignant William B. Quandt a été présent au colloque sur «le monde arabe en ébullition» organisé à Alger à l'occasion du Salon internationale du livre d'Alger. Il décortique dans cet entretien sa propre analyse de la situation dans ces pays transformés en territoire de révolutions populaires pour revendiquer la démocratie et la liberté. Il parle également de la situation en Algérie et ses perspectives. Quelle appréciation faites-vous du colloque sur le monde arabe et quelle est sa portée ? Ce colloque traite du changement assez dramatique dans des pays arabes. Les participants ont discuté des expériences de la Tunisie et l'Egypte où on voit déjà les résultats des révolutions populaires avec le changement des dirigeants et non pas de régime. Les travaux ont abordé également la situation au Yémen, en Syrie, même en Libye où on ne voit pas encore quelle issue auront les événements en cours. Mais la situation aujourd'hui dans ces pays nécessite un traitement plus profond pour connaître quelles sont les raisons de fond ? Est-ce que ces évènements étaient prévisibles ? Sont-ils dus à une crise socio-économique ou politique ? Le rôle de l'ingérence extérieure etc. ? Je ne pense pas qu'il y a un consens parfait entre les participants à ces évènements. Il y a plusieurs éléments qui m'ont frappé dont l'indifférence des gens par rapport à la frustration des populations d'une bonne partie du monde arabe et du Proche-Orient. Pourtant, les raisons sont très évidentes. Il y a des problèmes économiques, de gouvernance, de justice, de droit humain et autres. Il faut distinguer les pays qui traînent ces problèmes au point de provoquer une crise politique et ceux ayant des moyens d'opérer ce changement mais on savait et voyait que les systèmes étaient un peu bloqués. Il y a le facteur démographique qui est fondamental aussi vu qu'il y a toute une génération de jeunes instruits qui souffrent du chômage. Le problème structurel fait que l'Etat ne peut pas répondre aux multiples demandes de ces générations dans une économie marquée par la faiblesse du secteur privé. Le contexte de la crise mondiale n'a pas été favorable pour ces pays qui sont restés incapables de résoudre tous ces problèmes. Dans les révolutions de l'Egypte et de la Tunisie, les deux peuples revendiquaient des solutions politiques en appelant au départ des deux présidents Hosni Moubarek et Zine Al Abidine Ben Ali. Cela n'a pas entraîné la disparition totale des régimes mis en place depuis plusieurs années. L'armée a eu un rôle primordial dans le changement dans ces deux pays. Entre soutenir le leader pour le maintenir en place où se mettre du côté du peuple pour pouvoir continuer d'assumer son rôle dans l'avenir. Dans les cas de l'Egypte et de la Tunisie, on a vu l'importance du rôle de cette armée qui a soutenu les peuples. Ce n'est pas le cas en Syrie par exemple où l'armée est du côté du président en place, ce qui a approfondi encore plus la crise et donné lieu à plus de violences. Les situations sont différentes et on ne connaît pas encore la suite des événements en Syrie. Ce qui se passe dans le monde arabe est-il une révolte ou une révolution ? Il y a les deux éléments. Ça commence par une révolte populaire née d'un marasme général puis ça continue pour prend la forme d'une révolution proprement dite mais on ne peut pas savoir si elle va réussir ou non et on ne peut pas être sûr des résultats. En Egypte, il y a eu une révolution mais il y a encore beaucoup de choses à faire pour bien traverser cette période de transition car on remarque encore que le peuple s'est révolté contre l'ancien président et sa famille mais il n'est pas impliqué dans la prise des grandes décisions qui feront l'avenir de ce pays. Ce sont les mêmes personnes qui continuent de gérer l'Egypte. Les choses vont, par contre, mieux en Tunisie où il y a plus d'espoir à ce que ça aille mieux. La révolution du monde arabe n'est pas similaire à la révolution française, russe ou chinoise. C'est un début d'une transition qui pourrait changer les choses et aboutir à la recomposition du système politique. Qu'en est-il du cas de l'Algérie ? C'est dommage que le colloque n'ait pas évoqué la situation en Algérie vu que vous avez vécu une première phase de votre printemps arabe en 1988. Il y a beaucoup de similarités dans les événements, les mêmes problèmes, le même langage tenu par le peuple. En Algérie, le blocage a eu lieu lors de la première confrontation entre le pouvoir et le FIS (dissous) et a donné lieu à une décennie noir désastreuse et tragique pour le pays qui a perdu beaucoup de temps. Nous sommes heureux de visiter l'Algérie et de voir que les choses vont mieux quand même. Il faut dire qu'il n'y a pas de ligne directe entre printemps arabe, l'Algérie et la démocratie. Vous dites une première phase, cela veut dire que la suite est à venir ? La population a encore en mémoire la violence vécue pendant plusieurs années. On ne peut pas risquer de laisser une manifestation s'organiser pour des objectifs sociaux ou économiques et garantir qu'elle ne se transforme en autre chose. Il faut être prudent pour faire ce changement. Le régime en Tunisie et en Egypte a été personnalisé. Ce n'est pas le cas en Algérie où il l'est mais à un degrés moindre en plus du fait que c'est un pays institutionnalisé. Les gens revendiquent le changement du système mais ne veulent pas le faire avec la violence. On sait que le changement va venir un jour ou un autre. Le président Bouteflika a fait beaucoup de choses mais ce n'est pas encore suffisant surtout qu'il ne va pas rester là éternellement. L'Algérie a des atouts pour procéder à ce changement sérieux sans passer par «Maidane Ettahrir» et des choses dans le genre. Votre pays a une Constitution, des institutions, une presse. Il suffit d'un changement de mentalité, de plus d'engagement politique de la part du peuple et un plus haut sens de civisme qui font qu'il devient exigeant en revendiquant l'utilisation de ce qu'il y existe déjà comme ouverture politique acquise depuis 1988, la richesse économique, la paix et la stabilité. Il pourra par la suite avancer avant de demander d'avoir et de faire plus que ça dans le processus de démocratisation du pays en instaurant la transparence des élection, la neutralité de l'administration, plus de justice, de respect et de considération à la voix du peuple. Ce processus nécessite beaucoup de travail et un grand sens de civisme et d'implication par tout un chacun. Les réformes politiques engagées sont-ils la solution idoine ? Je ne connais pas encore le contenu de ces réformes mais je peux dire d'ores et déjà que les décisions qui viennent d'en haut vers le bas sont généralement limitées. La situation actuelle exige l'ouverture d'un dialogue sincère et franc entre les franges de la société et le pouvoir en place. Les régimes déchus procédaient de la même manière dans la mesure où les dirigeants décident et informent le peuple de ce qui va se faire sans demander son avis et le prendre en considération dans la concrétisation de ces projets. C'est une mentalité bureaucratique alors que le changement doit être attractif et le jeu politique doit impliquer directement les gens. Je pense que le contenu des réformes politiques est un élément important aussi mais le processus de participation doit être pris en considération et de façon prioritaire. Les prochaines élections législatives sont-ils une occasion pour opérer ce changement ? Oui, peut-être. A condition qu'il y ait de nouveaux partis et forces politiques intéressants qui veulent faire ce changement et ont la manière pour le faire. Entretien réalisé