Sept millions de Tunisiens sont appelés à élire aujourd'hui, lors d'un scrutin de listes à la proportionnelle, les 217 membres de la future Assemblée constituante chargée de rédiger une Constitution. L'enjeu de ces élections qui interviennent neuf mois après le renversement de ben Ali réside dans la réussite d'une transition démocratique après des décennies de régime autocratique, les bouillonnements des débuts de la révolte populaire et une résurgence de l'islamisme redoutée dans le camp laïque. Depuis la chute de Ben Ali et de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), pas moins de 110 formations politiques ont vu le jour en Tunisie. La campagne a opposé notamment les partisans de la laïcité, défenseurs d'un «Etat civil» et les islamistes emmenés par les modérés d'Ennahda. Cette rivalité a été constatée dernièrement après les émeutes du 14 octobre à Tunis par les islamistes manifestant contre la diffusion à la télévision du film d'animation «Persépolis» jugé contre l'Islam, et la riposte deux jours plus tard du camp laïque. Néanmoins, Ennahda, dont le chef de file, Rachid Ghannouchi, est rentré de 22 ans d'exil à Londres, est donné grand favori du scrutin. Les sondages lui accordent entre 15 et 25% des voix, loin devant ses plus proches rivaux. M.Ghannouchi a évoqué devant la presse des contacts en cours avec d'autres formations en vue de former «un gouvernement d'union nationale». Ce parti, admirateur de l'AKP au pouvoir en Turquie, milite pour un rôle accru de l'islam dans la vie politique, tout en assurant ne pas vouloir imposer ses valeurs morales aux femmes dont il veut respecter les droits. La Tunisie contemporaine affiche sa relation décomplexée avec l'islam. On peut acheter de l'alcool dans les bars et certains magasins, les femmes ne portent pas toutes le «niqab» ou le «hidjab», les touristes bronzent en bikini sur les plages, et la communauté juive vit sans crainte. La plupart des Tunisiens suivent les grands préceptes du Coran sans pratiquer un islam radical et s'enorgueillissent de leurs traditions libérales et modernes. Elections sous très haute surveillance 42 000 membres de forces de l'ordre seront déployées aux abords des bureaux de vote dans le pays. L'ensemble du système électoral a été bâti de toutes pièces par une instance indépendante créée en avril dernier. Mais cela n'écarte pas la crainte de la fraude qui reste une obsession que nourrit notamment le leader d'Ennahda. Lors de sa dernière conférence de presse, Ghannouchi a brandi la menace d'une révolte dans la rue en cas de manipulation des résultats. Les principaux partis concurrents ont d'emblée condamné ce discrédit préventif, alors même qu'Ennahda a participé à l'élaboration des règles du jeu électoral. Preuve pour les uns que le parti ne croit pas en la démocratie, pour les autres qu'il refuse d'avance le verdict des urnes s'il lui était moins favorable qu'escompté. Ce climat de suspicion n'autorise aucune faiblesse du dispositif. Près de 7000 observateurs nationaux, notamment ceux de l'association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections, et 533 observateurs internationaux veillent au respect des pratiques dans les 7213 bureaux de vote. Seulement 55% des Tunisiens inscrits Seuls 55% des Tunisiens se sont inscrits sur les nouvelles listes électorales. Un millier de bureaux de vote seront tout de même ouverts aux autres électeurs sur la foi de leur carte d'identité. Ce double réseau de listes aurait pu tenter certains de voter deux fois… Le matériel lui-même a été fabriqué spécialement pour les élections. Ces urnes, livrées il y a un mois par le programme des Nations unies pour le développement, proviennent du Danemark et de Turquie.