Après les assurances des premiers jours, le consensus est désormais obtenu : tous les économistes algériens, liés au gouvernement ou indépendants, tirent la sonnette d'alarme pour avertir que l'Algérie sera touchée à moyen terme par les conséquences de la crise financière qui secoue surtout la zone euro (17 pays) et l'Union européenne (27 pays). Cet avertissement a été renouvelé hier par M'sitefa Bachir, analyste économique et professeur à l'université d'Alger, au cours d'une conférence qu'il a donnée au siège du quotidien arabophone Echaâb sur «la crise de la zone euro, ses causes et ses conséquences régionales». D'emblée, le conférencier qualifie de «géostratégique» la crise dans laquelle se débat le vieux continent. Plusieurs parties de la zone euro, à l'instar de la Grèce, l'Italie, le Portugal, l'Espagne ou la France font en effet face à l'impossibilité dans l'immédiat de rembourser leurs dettes souveraines et les intérêts qu'elles génèrent et cumulent depuis des années. Leur rééchelonnement s'accompagne souvent de l'application de plans d'austérité en matière de dépenses publiques dans toute l'Europe, à commencer par la Grèce. Cette façon de réagir en pleine crise provoquera, selon les experts, un ralentissement de l'activité économique à brève échéance dans cette partie du monde. Les prix des produits finis, surtout agricoles et agroalimentaires, vont alors exploser sur le continent dont la demande sur les énergies fossiles (gaz et pétrole) chutera sensiblement, entraînant à partir du printemps 2012 les prix du pétrole vers la baisse, à 80 dollars le baril environ. En clair, l'Algérie paiera plus cher ses importations d'Europe qui augmentent en termes de valeur et de quantités et exportera moins vers cette destination en raison de la chute de la demande sur les hydrocarbures. Des importations aux dépens de la production «L'Algérie est un partenaire stratégique de la zone euro et de l'Union européenne avec lesquelles elle échange des marchandises», rappelle le Dr M'sitefa. Les effets de la crise financière seront ressentis dans notre pays à travers justement cet échange de marchandises, de plus en plus chères parce que rares. Par les chiffres, en 2010, le pays a importé de l'UE l'équivalent de 20 milliards de dollars ; ses exportations vers elle étaient de 25 milliards de dollars la même année. Au cours du premier semestre 2011, les importations de l'Algérie de l'UE ont augmenté de 24,3%, soit une facture de 30 milliards dollars en six mois et les prévisions tablent sur une facture annuelle de 57 milliards dollars. «L'augmentation des importations et la baisse des exportations sont un danger à moyen terme», lance-t-il. Pour preuve, le déficit budgétaire, dans la loi de finances 2012, est de 25% (il est de 12,5 % en Grèce, 9,20% en Italie, 5,7% en France). Le fonds de régulation des recettes (FRR) sera mobilisé par les pouvoirs publics pour le combler. «Le citoyen ne ressent pas encore la crise parce que c'est l'Etat qui la supporte à travers la loi de finances qui prévoit d'importantes subventions des prix des produits de large consommation comme le lait, l'huile et la farine», explique l'analyste. Mais dans cinq ans au maximum, indique-t-il, l'Etat ne sera plus en mesure de persister dans cette politique de subvention des produits. La crise apparaîtra alors au grand jour, avec toutes les conséquences possibles, surtout sur le front social, si les pouvoirs publics ne réagissent pas entre temps. «Il faut revoir la politique économique, si politique économique il y a», lance l'invité d'Echaâb. Pour écarter le danger qui se fait de plus en plus menaçant, il suffit pour lui d'exploiter les énormes potentialités de l'économie nationale dans le secteur agricole par exemple. Pourquoi l'action du gouvernement n'est-elle pas dirigée vers la création d'une économie locale susceptible d'assurer au pays sa sécurité alimentaire ? Ou, comme l'a souligné un intervenant au cours du débat, pourquoi l'Algérie facilite-t-elle en termes de procédures les exportations et complique-t-elle l'investissement dans la production ? Aux yeux des analystes, cette interrogation des plus légitimes est une énigme. Le professeur M'sitefa ose toutefois une explication : «Le gouvernement serait-il sous les ordres de centres de décision étrangers qui l'obligent à importer au lieu de produire localement ?»