Le bilan de la bavure militaire qui a eu lieu mercredi après-midi à la commune d'Akerrou, 65 km à l'est de Tizi Ouzou, et qui a coûté la vie à un homme de 64 ans, s'est alourdi. La seconde victime, Rafik Haddad, 17 ans, stagiaire, a succombé à ses blessures tard dans la soirée de mercredi au bloc opératoire de l'hôpital Lounès Maghnem de la ville d'Azzazga. Les deux victimes qui étaient munies de fusils de chasse, pour rappel, ont été tuées par des militaires accidentellement lors d'une embuscade tendue à un groupe armé en plein cœur des maquis de Tamgout, non loin du village Tigounathine, commune d'Akerrou, daïra d'Azeffoun. Les autorités militaires et civiles de la wilaya de Tizi Ouzou, qui ont reconnu cette énième bévue, se sont rendues hier matin au village Tigounathine pour présenter officiellement des excuses aux familles des deux victimes et au comité de village. Ils ont appelé au calme les habitants de la région. Hier, dans la petite bourgade de Tigounathine, qui englobe environ 1300 âmes, les villageois, qui attendaient l'acheminement des dépouilles, nous ont raconté les circonstances de la bavure qui a coûté la vie aux deux villageois. La mélancolie et la tristesse se lisaient sur leurs visages. «Matoub Ramdhane, âgé de 64 ans, un ancien émigré et père de deux filles, accompagné de son ami, Haddad Rafik, âgé de 17 ans et fils d'un patriote, étaient à la sortie du village munis de deux fusils, de retour d'une partie de chasse, comme ils ont l'habitude de le faire. Arrivés dans une clairière, vers 13h45, au lieudit Iguer Aukrar, pas loin de notre village, des militaires, embusqués dans les parages, ont ouvert le feu sur eux, croyant qu'il s'agissait de terroristes. Ils les ont touchés à la tête», nous a raconté un villageois, la mine défaite, qui expliquera que Matoub Ramdhane a rendu l'âme sur place, tandis que son compagnon, le jeune Rafik Haddad, a été évacué à l'hôpital d'Azzazga, où il devait décéder à son tour vers 19h. «Je vous signale que l'endroit ou Rafik et Ramdhane ont été tués est une piste agricole qui mène vers des champs cultivés par les villageois. C'est une piste fréquentée quotidiennement par les gens du village. On se demande alors comment les militaires, qui connaissent bien notre village, ont commis une bavure à cet endroit», s'interroge un villageois. Les villageois, après une réunion générale tenue en urgence à l'école primaire du village, en début de soirée, le jour du drame, et l'installation d'une cellule de crise en catastrophe, ont décidé d'aller voir le commandant du campement militaire de Tifrit Ath El Hadj, chef-lieu communal, pour des éclaircissements. «Nous avons été reçus par les responsables du campement militaire qui nous ont présenté des excuses sur le champ et n'ont à aucun moment hésité à reconnaître leur erreur. Ils nous ont assurés que l'auteur ou les auteurs de cette bavure seront poursuivis par la justice militaire», nous a indiqué le président du comité de village. «Les sages de notre village ont réussi à calmer les esprits de certains villageois en furie. Mais nous réclamons que ce genre d'erreurs qui portent atteinte à des vies humaines cesse et que toute la lumière soit faite sur ce drame. Nous sommes des villageois sans histoires qui luttent quotidiennement contre les conditions difficiles de vie», ajoute notre interlocuteur. Ce dernier a fait rappeler que leur village a perdu 11 personnes, dont 6 ont été tuées par les soldats de l'ANP accidentellement, depuis le début du terrorisme dans cette région au milieu des années 1990. «La bavure de mercredi dernier est la goutte qui a fait déborder le vase. Basta ! Nous ne voulons plus de ces drames qui endeuillent chaque année nos familles», clame un villageois qui peine à retenir ses larmes. Une atmosphère de tristesse régnait au village Tigounathine hier, en fin de journée. Le wali de Tizi Ouzou, Abdelkader Bouaghzi, s'est rendu hier matin au village pour demander à son tour des excuses et rassurer les parents des deux victimes quant à leur prise en charge. «Le wali nous a promis de faire toute la lumière sur cette affaire. D'ailleurs, notre comité de village lui a demandé une audience après l'enterrement des victimes», nous indique un membre du comité de village. Hier à Tigounathine, l'ensemble des villageois se sont regroupés à l'école primaire du village Mellal Ahmed, pour s'occuper des préparatifs de l'enterrement. Un enterrement prévu cet après-midi au cimetière du village. A notre arrivée, une camionnette de marque Nissan appartenant à l'armée a déchargé une importante quantité de denrées alimentaires pour les besoins des repas de deuil. Pour rappel, les maquis de Tamgout qui s'étalent sur une importante superficie de la région nord-est de Tizi Ouzou, sont réputés par être une base arrière pour les groupes armés. Certains villages de la commune voisine, Zekri, sont interdits d'accès aux habitants de la région depuis plus de deux décennies. Les villageois sont alors contraints de vivre ailleurs. Il est utile de signaler que pas moins de trois bavures militaires se sont produites depuis le mois de juin dernier dans cette région, fortement boisée. Le 23 juin, Dial Mustafa a été tué par erreur par des militaires, juste après l'explosion d'une bombe au passage d'un convoi militaire, à la sortie de la ville d'Azzazga, 55 km à l'est de Tizi Ouzou. La victime, père de famille, travaillait dans un chantier, non loin du lieu de l'explosion de la bombe. Les auteurs de la bavure on tété arrêtés et poursuivis en justice. La famille de la victime demande toujours réparation. «Nous avons bénéficié seulement d'une pension mensuelle», nous a indiqué un proche de la victime. Le 11 décembre dernier, une autre bavure s'est produite devant une caserne militaire à Fréha, 40 km à l'est de Tizi Ouzou. La victime, Zahia Kaci, âgé de 55 ans et mère de 14 enfants, a été tuée la nuit par un militaire qui était de garde devant la caserne. Des mouvements de protestation pacifiques menés par les habitants de la région ont suivi ces incidents.