L'état des déficients mentaux sans ressources et livrés à eux-mêmes est de plus en plus préoccupant. Ces derniers, vivant dans une situation précaire, n'ont d'autres choix que de faire de la rue leur refuge. De plus en plus nombreux dans les rues et dans les villes est un fait avéré et une question se pose : comment faire face à cette détresse humaine et sont-ils un risque pour leur entourage ? Peut-être, mais sans doute pour eux-mêmes d'abord. Une tournée dans les quartiers de la capitale et sa banlieue nous renseigne sur une situation alarmante de ses hommes et femmes qu'il faut mettre à l'évidence avec les changements de la société et cette ouverture «sauvage» de notre économie. Ainsi la recherche effrénée du «profit à tout prix» laisse en rade cette frange grandissante de la société où les citoyens sont de plus en plus individualistes et où tout un chacun tente de s'en sortir comme il peut. Les plus fragiles ou ceux qui ne peuvent pas s'en vont braver la mer à bord d'embarcations de fortune, s'immoler ou sombrer dans une dépression. Dépression, le mot est lâché. Peut ne pas être une fatalité avec une prise en charge adéquate dans des centres appropriés. Ces structures d'accueil existent-elles ? La réponse est non ou insuffisantes à la vue du nombre de ces malades déambulant dans les villes. Il leur arrive de disparaître quelques temps, celui de permettre à des officiels de «faire leur bain de foule» à des occasions. Le Service d'aide médicale d'urgence (Samu) est passé par là pour les cacher quelques temps dans des centres de solidarité avant d'être orientés vers les hôpitaux psychiatriques. Ce n'est certainement pas la meilleure solution et les spécialistes l'ont à maintes fois dénoncé. Le Dr Rabah Asselah, psychiatre chargé du suivi des personnes atteintes d'affection psychique et de l'errance à l'hôpital Drid-Hocine, nous a précisé qu'«agir de manière conjoncturelle et occasionnelle en abritant ces malades dans les centres d'aide, les hospices et les hôpitaux ne règle pas le problème. Il faut régler cette situation à sa source et trouver des solutions». Les malades «recueillis» sont pris en charge au niveau des centres spécialisés (Drid-Hocine (Alger), Frantz-Fanon (Blida)…), où ils ne sont soignés que durant un laps de temps faute de place. Ils sont, malheureusement, relâchés dans la rue pour affronter la dure réalité, en attendant… une autre sortie officielle ou un ramassage conjoncturel. Le Dr Asselah insiste pour dire que le problème est beaucoup plus socioéconomique et non sanitaire et qu'il faut une solution urgente puisque le nombre de ces malades SDF augmente sans cesse. «Les sans-abris viennent de différentes wilayas et vivent à l'état de clochardisation en raison des problèmes sociales et économiques», a ajouté le psychiatre. Les établissements de santé et les hôpitaux qui les reçoivent font un tri en évaluant leur état de santé physique et mentale. Les personnes sans problèmes psychopathologiques sont placées dans les centres de solidarité telle que Diar El Rahma et les hospices. Pour ce qui est des déficients mentaux, ils sont pris en charge au niveau des centres de soins et les médecins en collaboration avec les structures de la Sûreté nationale procèdent à une enquête pour contacter leurs familles ou leurs proches. «Lorsque l'expertise s'avère défectueuse et n'aboutit sur aucun lien parentale, les hôpitaux psychiatriques adressent les malades vers des hospices, où ils sont suivis régulièrement par des psychiatres et psychologues», précise-t-il. Après un séjour à l'hôpital et à l'hospice, certains pensionnaires sont réinsérés socialement et professionnellement avec une aide de la part des services sociaux qui veillent à leur bonne intégration. S'agissant des pathologies psychiatriques chroniques, les malades bénéficieront de cartes sanitaires et recevront une aide de l'Etat. Rôle du ministère de la Solidarité Le Samu social, composé de médecins, de psychologues et d'éducateurs spécialisés, affilié au ministère de la Solidarité et de la Famille, sillonne occasionnellement les villes, notamment durant l'hiver à la recherche des sans-abris et ceux atteints de troubles psychiatriques. El Hachimi Nouri, responsable de la communication à ce ministère, nous a fait savoir qu'un programme a été mis en place pour la prise en charge de ces malades et une équipe dotée de moyens nécessaires a été mobilisée. Le département s'est donné comme objectif l'accompagnement nécessaire des sans-abris en leurs fournissant le gîte et le couvert. Un accompagnement qui s'inscrit dans les objectifs primordiaux du secteur. Le chargé de communication indique que les malades mentaux errants sont dirigés vers des structures relevant du secteur d'activité sociale (hospice) où ils sont logés et nourris avec une consultation médicale. «Ces personnes peuvent être dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres et c'est pourquoi elles sont admises dans les hospices que pour un bref séjour», précise M. Nouri. Et d'ajouter : «La prise en charge médicale et psychiatrique ne relève pas de nos prérogatives.» Le personnel de santé du ministère de la Solidarité n'étant pas habilité à soigner les troubles psychiatriques, les malades sont orientés vers des centres de psychiatrie. La plupart des malades SDF refusent de quitter la vie de la rue à laquelle ils sont habitués. Ils se sont, en effet, adaptés à ce cadre de vie et refusent d'être confinés dans les espaces réduits avec d'autres pensionnaires. En 2010, les centres de solidarité ont recueilli 492 individus, dont 136 femmes et 19 enfants, en situation de détresse sociale. Ils ont été hébergés dans des centres d'accueil dépendant du Samu social. Le ministère de la Solidarité réserve 76 centres d'accueil et mobilise 683 spécialistes dans le cadre du travail social. Les sans-abri et sans revenu souffrant de maladies chroniques bénéficient d'une prime forfaitaire de solidarité qui leur ouvre droit à la sécurité sociale, leurs médicaments sont remboursés à 100% et ont droit à une prise en charge médicale gratuite. Cette frange de la population, victime des vicissitudes de la vie, a grandement besoin de plus d'égard de la part de tous et, notamment, de la part des autorités compétentes. Leur insertion professionnelle est une véritable préoccupation sachant que l'ergothérapie, la thérapie par le travail, s'avère très efficace chez les personnes atteintes d'affections psychologiques. En effectuant diverses tâches (jardinage, couture…) les dépressifs, schizophrènes et autres patients ne ressassent plus leurs idées noirs et s'attellent à réaliser leurs travaux. Le renforcement des systèmes d'accès aux soins, en les décentralisant pour les rapprocher, le plus possible, des usagers et des malades est fortement attendu. Enfin, le fait d'enfermer les malades mentaux dans des asiles n'est certainement pas la solution. Sinon c'est oublier le message de Frantz Fanon qui, dès 1953, s'était opposé à Joinville aux tenants de la psychiatrie raciste de l'Ecole d'Alger d'Antoine Porot. Frantz Fanon proposa des méthodes révolutionnaires consistant dans la sociothérapie et la psychothérapie institutionnelle. Soixante ans après, nous en sommes encore à méditer le message fanonien. La camisole chimique n'est pas et ne peut être que le seul remède.