"Grande affaire des années algériennes", la torture de militants et de poseurs de bombes du FLN par des militaires et des policiers français fut une réalité occultée dans les années 60 avant d'être largement débattue au début des années 2000. "Employée comme un procédé ordinaire de +pacification+ pendant la bataille d'Alger (janvier-septembre 1957), la torture est bien la grande affaire de ces années algériennes", écrit l'historien Benjamin Stora dans la dernière édition de son "Histoire de l'Algérie" (La Découverte). Ce spécialiste ne consacre pourtant que quelques pages à la torture. Pour autant, il relève que la question de la torture, après avoir longtemps occultée, est devenue depuis le début des années 2000 un "enjeu de mémoire" avec des témoignages de victimes et de bourreaux. Coups, étranglements, ongles arrachés, yeux crevés, brûlures, gégène, baignoire : la torture en ville ou dans le djebel a touché, selon l'historien Pierre Vidal-Naquet, des centaines de milliers d'Algériens. Elle "n'a pas été seulement, assure Benjamin Stora, le fait de quelques militaires isolées". "La torture, renchérit Raphaëlle Branche, a atteint une dimension inégalée". Auteure de "La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie" (2001, Gallimard), elle la qualifie d'une "arme-clé" de cette guerre, longtemps qualifiée "d'opérations de maintien de l'ordre". Claude Juin, jeune appelé en Algérie en 1957-1958, raconta sa guerre, dans "Le Gâchis", publié en 1960 sous un pseudonyme et vite interdit. 50 ans après la fin de la guerre d'Algérie, ce docteur en sociologie publie "Des soldats tortionnaires" (Robert Laffont)". "J'ai voulu aller à l'origine de cette violence extrême, dont fait partie la torture et comprendre pourquoi alors que nous étions dans le camp du bien après avoir vaincu le nazisme, nous nous sommes retrouvés dans le camp du mal". Dans cette "violence extrême" faite à des Algériens, Claude Juin inclut "brimades, humiliations, les viols de femmes, exécutions sommaires". Les gouvernements de la IVe République, dont celui de Guy Mollet qui a fait voter les "pouvoirs spéciaux" en 1956, sont "entièrement responsables de cette +violence extrême+". Mettre en place les "pouvoirs spéciaux" en Algérie, "c'était donner aux militaires des pouvoirs de justice et de police qui n'étaient de l'ordre de leurs responsabilités normales", assure Claude Juin. Pour lui, de "nombreux officiers ou sous-officiers français n'ont pas voulu pratiquer la torture", ajoutant : "Je ne sais pas combien de gens ont torturé mais même s'ils étaient une minorité, c'était suffisant pour le dénoncer". Dès le début de bataille d'Alger, les premiers témoignages sur la torture sont publiés en métropole. En septembre 1957, Paul Teitgen, secrétaire général de la police à Alger, démissionne. En janvier 1958, Henri Alleg, militant du parti communiste algérien, publie "La Question" où il raconte avoir été torturé pendant la bataille d'Alger. Un de ses amis Maurice Audin, également torturé, disparaît. Au même moment le général Jacques de Bollardière, Compagnon de la Libération, sera le seul officier supérieur à condamner ouvertement la torture, ce qui lui vaudra soixante jours d'arrêt. En juin 2000, la militante indépendantiste Louisette Ighilariz raconte avoir été torturée pendant trois mois en 1957 par les parachutistes du général Massu. Moins d'un an plus tard, en avril 2001, le général Paul Aussaresses, 82 ans, commandeur de la Légion d'honneur, relate l'exécution d'un dirigeant FLN pendant la bataille d'Alger et comment "il s'est résolu à la torture". Il sera condamné deux ans plus tard à 7.500 euros d'amende pour "apologie de la torture", tous les crimes commis pendant cette période ayant été amnistiés. Jacques Chirac lui retirera sa Légion d'honneur.