C'est la ville qui fait ses hommes ou les hommes qui font leur ville ? Si les hommes d'aujourd'hui n'arrivent même pas à gérer leur ville, autrefois, des hommes sont sortis de l'anonymat pour faire de Cherchell une ville d'art et de culture.Il est dommage que Cherchell, connue pour ses musées et ses vestiges, ne soit plus gérée par ses hommes de culture, mais par ceux qui préfèrent la couleur du béton à l'odeur du jasmin et la pollution de l'air à l'écoute de la musique et ses airs. Heureusement que cette ville a laissé des hommes de lettres et des artistes pour la défendre avec leurs moyens ancestraux : la plume, le pinceau ou le plectre. Qui mieux que les Cherchellois, notamment leurs hommes de lettres et leurs artistes, pourraient la défendre et lui rendre ses lettres de noblesse ? Parmi les enfants de cette ville romaine, certains, tels que le plus ancien des herboristes Kamel Djebbour, écrivent des poèmes pour se défouler en attendant des jours meilleurs pour la ville de leurs ancêtres et d'autres comme Kamel Bouchama, un ancien ministre et ambassadeur, décident de revenir sur l'histoire de Cherchell et de ses habitants connus pour avoir été de grands hommes de science et de culture. Les érudits de Cherchell Kamel Bouchama a consacré son dernier livre, De Lol à Caesarea à… Cherchell, à sa ville natale. Dans son ouvrage, l'ex-ministre et homme de culture (il a écrit une dizaine d'ouvrages en arabe et en français) a tenu à rappeler les noms de Juba II, qui fut architecte et homme de lettres, Priscianus Caesaeriensis, qui était un grand grammairien ayant enseigné à Constantinople, et Sidi Brahim El Ghobrini, le saint patron de Cherchell, un maître reconnu en théologie. L'histoire culturelle et artistique ne s'est jamais arrêtée, car les bonnes graines sont toujours fécondes. La preuve est donnée par Assia Djebbar qui vient d'obtenir sa place à l'Académie française. Avant de devenir académicienne, Assia Djebbar, de son vrai nom Fatma Zohra Imalayene, a écrit des nouvelles, des poèmes, des romans et même réalisé des films. C'est dire que cette romancière est une artiste complète. Le premier docteur en médecine Il est à rappeler que le premier médecin algérien à obtenir un doctorat d'une faculté européenne est un enfant de Cherchell. En effet, Mohamed Sghir Belarbey (Belarbi) a eu son doctorat avec la mention «excellent» à Paris en 1884, alors que le premier Tunisien l'a obtenu en 1897. Le président du jury lui aurait déclaré : «Nous vous rendons aujourd'hui ce que nous avons emprunté à vos aïeux.» Il est à noter que l'un des frères de Mohamed Sghir était médecin au palais du Bey, à Tunis, alors que le second était interprète. Côté artistique, la beauté de cette ville n'a jamais cessé d'inspirer les artistes. Même si la plupart sont restés méconnus à cause de l'éloignement et du manque de communication, beaucoup ont pu s'imposer au niveau national. Nora, Nardjess et les autres C'est le cas de la grande chanteuse Nora, qui a obtenu le disque d'or Pathé Marconi en 1970. Mariée au compositeur Kamel Hammadi, Nora a chanté en arabe et en kabyle. L'interprète de Ya Teyyara, Houa Houa a enregistré l'un des rares duos des années soixante, Ya Bensidi, avec le regretté Ourad Boumediene. Elle a également chanté et enregistré six chansons en langue française dont la plus connue est Paris dans mon sac. Dans la chanson hawzi, Nardjess, qui vient de faire son retour après une longue absence, est actuellement la vraie représentante de ce style au côté de la grande Seloua est également originaire de cette ville romaine. Les habitants de Cherchell, qui tiennent à cet art, activent au sein d'associations telles que Errachidia. Un des descendants de Sidi Brahim El Ghobrini fait partie de cette association qui fut dirigée pendant une longue période par le chanteur Smaïl Hakem qui, malgré ses connaissances, n'a pu se détacher de l'imitation de Dahmane Benachour. Andalou, chaâbi et moderne Dans le chaâbi, malgré un petit défaut de langue, feu Saïd El Ghobrini, également descendant du saint patron de la ville, avait pu se classer parmi les meilleurs chanteurs de chaâbi des années 60/70. Mohamed Cherchali est aussi un chanteur, un parolier et un compositeur. Il a écrit des dizaines de chansons pour, entre autres, Redha Doumaz. La chanson Chahlet Laâyani, écrite par Abdelhakim Garami, qui était également un chanteur de talent, reste toutefois la plus connue puisqu'elle a été reprise et diffusée dans les pays arabes. Côté musique, tous les spécialistes reconnaissent encore le grand talent du banjoïste Kaddour Cherchali qui fut un véritable maître de l'andalou et du chaâbi.Pour la chanson moderne, deux artistes sont sortis de Cherchell pour s'imposer au niveau national. Le premier, Baâziz, le provocateur à la guitare sèche et à l'harmonica, et le deuxième, cheb Bilal, un artiste connu pour son humanisme. Placée sous la bénédiction de Sidi Brahim El Ghobrini, dont le mausolée mérite une restauration et une meilleure gestion, Cherchell ne cessera jamais de nous gaver d'art et de culture.