L'instruction donnée par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, pour le nettoiement des villes algériennes et les débarrasser des dépotoirs sauvages qui y pullulent, a-t-elle des chances de réussir ? Rien de moins sûr si les mesures prises dans ce cadre restent aussi limitées. Explications de spécialistes qui détaillent, pour les lecteurs de notre journal, l'impuissance de cette instruction face à une réalité si complexe. L'origine du problème remonte, selon nos interlocuteurs, à l'année 1981 avec la cession des biens de l'Etat. Cette cession, et en l'absence d'une réglementation cadre, a engendré l'abandon des cités concernées puisque les Offices de promotion et de gestion immobilière (OPGI) ne géraient plus ces ensembles une fois cédés aux locataires rarement organisés pour gérer eux-mêmes les agglomérations. Ce problème n'est, malheureusement, pas le seul du genre empêchant le nettoiement durable des villes algériennes. Le pays compte 1541 communes et un parc immobilier d'environ 8 millions d'unités avec, également, environ 70 000 commerces dont nombre parmi eux jettent trois fois par jour des déchets liés à leurs activités, en l'absence de lieux conçus pour ce faire. «Vous avez beau nettoyer la matinée, la situation revient au même point l'après-midi et même le soir», expliquent-on. Pas seulement cela, puisque les spécialistes relèvent, également, un caractère d'ordre juridique. «Les ménages sont tenus de payer une taxe annuelle d'assainissement variant de 300 à 800 DA. Or, nombreux sont les ménages qui ont construit sans permis de construire ou qui, tout simplement, ne disposent pas d'un acte de propriété. Ils ne peuvent donc pas s'acquitter de la taxe, puisque ne se trouvant pas en conformité avec l'administration et les autorités sont ainsi privées d'une manne financière qui freinerait les opérations de nettoiement». Plus de la moitié des 1541 communes et arrondissements urbains que compte le pays ne bénéficient pas de la taxe d'assainissement, selon nos interlocuteurs. Le mode de construction nouvellement adopté est aussi relevé par nos interlocuteurs. «Nous voyons qu'un nombre réduit parmi les cités nouvellement érigées est pourvu de niches à ordures destinées à accueillir les ordures ménagères. Ce qui participe, de façon terrible, à la détérioration des cités et l'apparition de dépotoirs sauvages», expliquent-ils. «Parfois, les niches à ordures, quand elles sont réalisées, sont construites dans des endroits inadéquats, à l'entrée des immeubles, par exemple. Les habitants, préférant ne pas avoir de dépotoir à l'entrée de leur immeuble, choisissent de jeter les détritus dans d'autres endroits pas forcément destinés à cela», ajoutent-ils. L'urbanisation sauvage, l'autre origine du problème L'urbanisation sauvage est aussi décriée par les spécialistes. «Les constructions anarchiques, transformées en chantiers, sont très souvent à l'origine de dépôts de gravats sur la chaussée et autres espaces relevant du domaine public», nous dit-on. A Alger, par exemple, une instruction émanant de la wilaya en mai 2012 a tenté, en vain, de mettre fin à cette situation. L'instruction prévoit, pourtant, des pénalités financières, comme le prévoit le décret de 2003 qui fixe entre 500 DA et 8 millions de centimes l'amende. Le tarif du transport d'un mètre cube de gravats passe de 300 à 800 DA Le transport de gravats ne coûte, pourtant, pas cher, même s'il est passé de 300 à 800 DA le mètre cube. Les gravats émanant de chantiers devraient, à la charge des transporteurs engagés dans cette opération, arriver jusqu'aux décharges publiques. Cependant, et souvent, certains transporteurs préfèrent abandonner les gravats dans la nature au lieu de les transporter jusqu'aux décharges comme convenu dans les contrats. «Et pourtant, ils facturent le transport comme si la tâche a été bien accomplie», regrettent les spécialistes en la matière. L'insuffisance du nombre de décharges publiques et centres d'enfouissement est également décriée par nos interlocuteurs. Disparition de la police communale Cette situation n'a pas été défavorisée par la disparition de la police communale qui exerçait au niveau des communes, notent-ils. Situation qui n'aide pas à mettre fin à toutes sortes de dégradations dont celles causées par la non-remise en l'état de la chaussée au terme de travaux. En effet, et selon les spécialistes, le manque de coordination entre différents services publics (Sonelgaz, Seaal…) participe pour beaucoup à cette situation. «Souvent, des travaux de fouille sont entamés juste après l'un des intervenants qui vient de terminer des travaux au même lieu. Parfois, la chaussée n'est pas remise en l'état au terme des travaux, laissant soit des trous béants ou des monticules entourés de détritus émanant des travaux», expliquent-on. Le nettoiement des villes algériennes devrait, selon nos interlocuteurs, prendre en considération toutes ces réalités pour les débarrasser des dépotoirs sauvages dont le nombre ne cesse d'augmenter à chaque coin de rue. «Les opérations récemment annoncées et engagées pour le nettoiement des villes algériennes sont à encourager et reflètent une bonne volonté de la part des citoyens, mais si des mesures nécessaires ne sont pas prises, la situation reviendrait au point de départ juste après», selon les spécialistes.