La contestation contre le décret renforçant les pouvoirs du président Mohamed Morsi a gagné samedi l'appareil judiciaire en Egypte, où partisans et adversaires des Frères musulmans prévoient de poursuivre l'épreuve de force dans la rue mardi lors de rassemblements concurrents. Mohamed ElBaradei, qui s'attend à être nommé prochainement coordinateur du Front de salut national, une fédération des mouvements d'opposition, a qualifié le chef de l'Etat de dictateur. Il a estimé que le décret voulu par Mohamed Morsi donnait à ce dernier les pouvoirs d'un pharaon. "Il n'y a aucune place pour le dialogue quand un dictateur impose les mesures les plus odieuses et les plus répressives et dit après 'partageons la différence'", a dit Mohamed ElBaradei. Au lendemain d'une journée de manifestations et de violences à travers le pays, notamment au Caire, à Alexandrie, à Port Saïd et à Suez, l'odeur du gaz lacrymogène continuait de planer sur la place Tahrir, où se sont rassemblés vendredi des milliers d'opposants à Mohamed Morsi. Une poignée de jeunes radicaux ont continué à affronter de manière sporadique les forces de l'ordre dans les rues proches de cette place du centre du Caire, épicentre de la révolution qui a renversé Hosni Moubarak en février 2011. Des organisations de gauche et libérales ont appelé à occuper la place jusqu'à l'annulation du décret présidentiel, qui rend les décisions du chef de l'Etat irrévocables par l'appareil judiciaire dans l'attente de l'élection d'un nouveau Parlement. Quelques dizaines d'activistes étaient postés à des barricades détournant la circulation automobile de Tahrir. Les violences ont fait plus de 300 blessés vendredi et des locaux des Frères musulmans, dont est issu Mohamed Morsi, ont été attaqués dans au moins trois villes. Le pouvoir est désormais confronté à une fronde des juges. Réunie au Caire, l'Association des magistrats a appelé samedi à la grève immédiate des prétoires et des services des procureurs et exigé du président égyptien qu'il revienne sur son décret et réinstalle à son poste de procureur général Abdel Maguid Mahmoud, révoqué jeudi par le nouveau pouvoir. Les milliers de participants à cette réunion du Caire ont réservé un accueil triomphal à Mahmoud Abdel Maguid. En signe de défi à l'égard du pouvoir, le président de cette association de juges, Ahmed al Zind, a présenté Mahmoud Abdel Maguid en utilisant son précédent titre. Jugeant l'initiative présidentielle "fasciste et despotique", les adversaires du pouvoir ont appelé à un grand rassemblement mardi contre ce décret révélant à leurs yeux l'ambition autocratique d'un homme emprisonné du temps de l'ancien régime. "Nous vivons un moment historique lors duquel soit nous achevons notre révolution, soit nous y renonçons pour qu'elle devienne la proie d'un groupe qui a placé ses petits intérêts partisans au-dessus de l'intérêt national", écrit le parti libéral Doustour dans un communiqué. Signe de la bipolarisation de la société égyptienne, les Frères musulmans ont invité leurs partisans à manifester le même jour pour apporter leur soutien au décret présidentiel. Vainqueurs des élections législatives et présidentielle, les Frères musulmans ont procédé en août à une purge au sein de l'armée pour écarter les généraux jugés trop proches de l'ancien pouvoir. Le décret publié jeudi soir illustre leur méfiance à l'égard d'un appareil judiciaire qui n'a guère été renouvelé depuis le renversement d'Hosni Moubarak. Les nouvelles prérogatives accordées à Mohamed Morsi lui ont ainsi permis de limoger dès jeudi le procureur général du pays, Mahmoud Abdel Maguid. Ce décret annule aussi tous les recours engagés contre l'assemblée chargée de la rédaction de la future Constitution et dominée par les islamistes. Le nouveau pouvoir défend son initiative en affirmant qu'elle est destinée à accélérer la transition vers un régime démocratique. "Elle vise à écarter les adversaires de Morsi au sein de l'appareil judiciaire et, au bout du compte, à éviter tout recours juridique contre la Constitution", affirme pour sa part Elijah Zarwan, de l'European Council on Foreign Relations. "Nous nous trouvons désormais dans une situation où chacun des deux camps pratique la surenchère et il est de plus en plus difficile de voir comment l'un des deux camps peut reculer sans perdre la face", ajoute-t-il. Les organisations salafistes, telles Nour et Gamaa Islamiya, qui prônent une interprétation stricte de la loi islamique, la "charia", dans la Constitution, ont apporté leur soutien au décret présidentiel. L'initiative de Mohamed Morsi a en revanche été critiquée par les Etats-Unis, l'Union européenne et les Nations unies, alors que sa médiation pour obtenir une trêve dans la bande de Gaza venait tout juste de lui valoir les remerciements de la communauté internationale.