Omar ne savait pas que la police faisait des réunions. Quand il entend le mot «police», il ne pense même pas à la matraque comme beaucoup de monde mais plutôt aux menottes et aux gardes à vue à durée indéterminée dans une salle de commissariat où on a poussé le génie jusqu'à inventer des matelas en béton. Omar connaît la police et la police a connu Omar dans son autre vie. Celle des petits larcins et des bagarres, des «deals» occasionnels quand la vie devient trop dure et des tentatives de fuite en bateau de marchandise quand la folie du rêve devient trop irrésistible. Il a connu tous les commissariats d'Alger et se souvient de tous leurs commissaires. Il se souvient de ceux qui ne pardonnaient jamais, «les sans-piti» qui faisaient du zèle pour ajouter de la douleur dans son désarroi, et les gentils qui ont eu à fermer les yeux sur des bourdes de jeunesse. Ceux qui ont parfois offert la clope ou le sandwich quand c'est tout ce qu'ils pouvaient faire dans une longue nuit de détention. Omar ne savait pas que les policiers faisaient des réunions mais il les a souvent surpris dans des conciliabules de couloir en tentant de lire sur leurs lèvres pour savoir si son cas était grave ou pas tellement. Il a attendu qu'on s'occupe de lui mais il a rarement été impatient, chaque minute passée dans un bureau, même lugubre ou un couloir livré aux vitres cassées jamais réparées, étaient autant de minutes volées au paillasson en ciment et au trou des toilettes écœurantes. Il ne sait pas ce qu'il a vraiment fait de méchant pour mériter le titre «d'ancien bandit» mais ça ne lui déplaît pas de dire à l'occasion qu'il s'est «rangé», surtout que ça lui valait plus de marques de bienveillance que de procès. Oui, Omar est dans une autre vie. Il lui arrive certes d'avoir quelque remords pour un larcin trop peu honorable mais il ne regrette rien. «C'est la vie», répétait-il à l'envi, en ajoutant que personne ne choisit d'être un petit voyou. Il ne regrette rien, mais Omar a quand même quelques aigreurs, dont celle de n'avoir pas pu réussir l'une de ses nombreuses tentatives de fuite dans la soute d'un bateau de marchandises. Il se souvient de la dernière, celle qu'il a crue tellement bien manigancée qu'elle ne pouvait échouer. C'est le policier du quartier qui avait découvert le pot-aux-roses en laissant traîner une oreille baladeuse dans le coin. Il l'a «donné» aux collègues qui sont allés le cueillir dans sa cachette avant que le navire ne mette le cap sur Amsterdam. Omar vit aujourd'hui d'un étal de marché. Ce n'est pas la prospérité mais ça lui assure un petit confort qu'il n'a jamais espéré. Paradoxalement, quand il parle de la police, il dit toujours qu'elle s'occupe plus de ceux qui revendiquent des droits que des voyous. Omar s'est rangé mais en lui sommeille toujours une révolte sourde née de la difficulté et nourrie par l'injustice. Octobre 1988, il n'avait pas participé à la révolte mais il avait «compris» ceux qui se sont servis dans les Galeries Algériennes. Ils lui ressemblaient encore un peu. Quand il y a eu le «printemps arabe», il ne savait toujours pas que les policiers de son pays, de Tunisie, d'Egypte et de Libye faisaient des réunions mais il a compris qu'ils faisaient la même chose. Et quand, avant-hier, il a appris que les polices arabes allaient se réunir à Alger, il s'est demandé pourquoi. Puis quelqu'un lui a expliqué : comme les polices arabes n'ont pas l'intention de s'occuper des voleurs, c'est peut-être pour éviter un vrai printemps qui a déjà commencé au Caire et à Tunis.