Jamais une visite de chef d'Etat français n'a été autant attendue. Avant même son arrivée à Alger, et alors qu'il en était encore à ferrailler dans son pays contre les métallurgistes, la crise, les courbes du chômage et la quasi-récession qui plane sur l'économie française, François Hollande occupait les colonnes de la presse algérienne et tenait le haut du pavé dans les colonnades et arcades des rues d'Alger. Les médias algériens reflétaient bien cet intérêt inédit pour la visite du premier président français «normal», une expression qui fait florès en France et qui a été lancée… à Alger par celui qui n'était encore que candidat à la candidature de la présidentielle française. Normal, dans l'optique algérienne, Hollande l'était d'abord et surtout au regard du déterminisme premier des relations algéro-françaises, celui de l'histoire. François Hollande est le premier chef d'Etat à ne pas être lesté par le passé colonial de la France. Et, aux yeux des Algériens, ce n'est pas un mince avantage, tant et si bien que même son appartenance au parti héritier de la SFIO et les tendances d'un père poussé à des positions ultras par sa farouche opposition à de Gaulle, loin d'écorner cet avantage, ont concouru à renforcer le crédit de Hollande dans l'opinion algérienne. Dans ce contexte, les revendications mémorielles dans la veine de la repentance ont largement faibli, comparativement au concert qui a précédé, à leur époque, les visites des prédécesseurs de Hollande. Et les Algériens retenaient plus volontiers le bouquet de roses dans la Seine et les déclarations sur les massacres du 17 Octobre. Lorsque François Hollande est arrivé à Alger après une dernière attention chez lui pour l'exil fiscal de Gérard Depardieu, un ancien commensal de Mitterrand converti au sarkozysme, c'est par une magnifique journée ensoleillée qu'il est accueilli, et une attention politique, médiatique et populaire à l'avenant. «Le président normal» est né à Alger Dans des rues d'Alger plus blanche que jamais, le président français est visiblement ravi par l'accueil enthousiaste qui lui est réservé. Les volutes de fumée provoquées par l'incendie du central téléphonique de la Grande Poste n'arriveront pas à altérer le bleu azur du ciel algérois et l'ambiance festive de la capitale. La presse française, venue en force, se plaît à souligner le caractère particulier de la visite et de l'accueil et, dans un élan d'enthousiasme qui détonne avec les papiers revêches de quelques titres algériens, qualifiera l'embellissement de la capitale de témoignage d'égards et de signes de bienvenue pour l'hôte de l'Algérie. «On arrange un peu sa maison quand on accueille un invité de marque», dira un confrère français à un jeune journaliste algérien qui voulait l'entraîner à partager ses récriminations sur le sujet. La presse française justement a partagé avec son homologue algérienne cette bienveillance accordée à Hollande. Peu de passion, pas de sujets qui fâchent, et jusqu'à des «Hollande l'Algérien» en guise de titre. Travail de communicant, éléments de langage ou empathie en phase avec le climat général de la visite, le fait est là. Il se dit que François Hollande est ami avec de nombreux journalistes français, dont on sait qu'ils sont majoritairement de gauche, que sa compagne est elle-même journaliste et que cela a son importance, que l'arrivée de Claude Sérillon, un journaliste respecté, pour encadrer l'image de Hollande à côté de professionnels comme Claudine Ripert-Landler et Christian Gravel, sont autant d'atouts et de passerelles pour un président qui, du reste, connaît depuis longtemps l'importance de la maîtrise de la communication. Et la brochette de journalistes qui a couvert sa visite en est un signe. Histoires de journalistes Les spécialistes de l'Algérie, comme Isabelle Mandraud du Monde, et la crème des médias français à l'image de Michaël Darmon d'ITélé, Vincent de Féligonde de La Croix ou l'indétrônable Jean-Pierre El Kabbach, venu cette fois-ci sans son éternelle écharpe rouge. «Mon voyage était espéré, redouté, mais nécessaire», a dit François Hollande, précisant qu'il est son premier en Algérie en tant que président, le premier également dans la région, et qu'il survient l'année du cinquantenaire de l'Indépendance. Dit autrement, ce sont les mêmes principes qui ont donné du crédit à Hollande aux yeux de l'opinion algérienne. Et les journalistes français soulignent volontiers cet aspect. Egal à lui-même, Michaël Darmon nous avait annoncé dès mercredi les mots forts que devait prononcer Hollande devant les deux chambres du Parlement et le gouvernement au grand complet. Il dira également que le président Hollande tient à inscrire les relations entre les deux pays dans une perspective d'avenir, en «ne taisant pas la vérité». Jean-Pierre El Kabbach, qui a tenu d'abord à sonder l'avis de ses confrères d'Alger, tiendra des propos dans la même veine et insistera sur cette fameuse perspective d'avenir, les passerelles entre un pays à forte population jeune et un pays qui accueille une forte communauté émigrée et des Français d'origine algérienne. Et, entre les communiqués protocolaires signés, les accords économiques et la parfaite harmonie qui a régné durant la visite de Hollande, il y a également des histoires décalées, des petites confidences, indispensables ingrédients d'un voyage réussi. L'épisode Orangina, dont la fraîcheur a réchauffé les rapports entre journalistes algériens et français qui, pour la plupart, ne s'étaient jamais croisés et qui discutaient comme de vieux amis, en fait partie. Mais le sujet vedette, en off, était incontestablement celui de la visite du candidat Hollande à Ben Bella et la baraka du président défunt, qui lui aurait prédit sa victoire. Alors, Hollande l'Algérien ? Après tout, ce n'est pas la fin du monde.