«Le ‘Printemps arabe' n'est pas terminé !», c'est du moins ce que pense Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). A Alger notamment pour la présentation de l'ouvrage qu'il a coécrit et dirigé, la Face cachée des révolutions arabes, l'ancien membre des services de renseignement français a mis en garde contre «les retombées, parfois imprévisibles», des changements survenus dans la région dite du monde arabe depuis janvier 2011. Ainsi, pour M. Denécé, le «feuilleton» n'est pas terminé. «Le mouvement est certes parti d'un malaise social bien réel mais l'on voit bien désormais qu'il n'a pas du tout satisfait les revendications pour lesquelles les peuples se sont soulevés. Seuls les intérêts américains et ceux des Frères musulmans, qui ont su prendre le train en marche, ont été satisfaits», note-t-il. Selon lui, «cette situation peut faire naître chez une partie de la population qui se sent flouée l'envie de reprendre les choses en main et d'investir de nouveau la rue tant que leur revendications, notamment celles d'ordre socio-économiques, ne sont pas satisfaites», prévient-il, citant en exemple le cas de la Tunisie. Révolution acte II, un scénario plausible mais qui n'écarte pas d'autres scénarios. Le deuxième point abordé par le chercheur serait l'apparition d'un problème de leadership entre les forces de police et celles de l'armée, pouvant mener à des affrontements directs entre les deux corps, comme ce fut le cas au cours de l'année passée en Tunisie. Il explique son point de vue par les répercussions de ces révoltes sur l'image des policiers, responsables, selon l'opinion publique, «à juste titre», précise-t-il d'ailleurs, de la répression des manifestations pacifiques, alors que l'armée s'en est sortie avec une certaine légitimité pour son rôle durant ces révoltes. Un rôle qui a permis au mouvement «d'aboutir» en refusant de tirer sur la foule. «Beaucoup de cadres de la police ont dû démissionner, et parallèlement, les prisons se sont vidées. Cela signifie que dans ces pays, il y a de plus en plus de criminels en liberté et de moins en moins de policiers pour y faire face. Ceci pourrait mener à des tensions», explique-t-il. Mais on pourrait également assister à un autre scénario. Pour M. Denécé, «il y un risque de radicalisation des partis islamistes au pouvoir pour se maintenir en place, les régimes ne voulant pas céder», comme c'est le cas en Libye, ou encore le risque «d'une nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis d'un côté, et la Russie et la Chine, de l'autre». Il est aussi revenu sur la crise syrienne qui a, selon lui, démontré l'existence de plusieurs pôles de pouvoirs. «Après s'être fait embarquer en Libye, la Russie et la Chine tiennent tête désormais en ce qui concerne la Syrie et c'est tant mieux», estime-t-il. «Mais les Américains et les Britanniques poussent de leur côté.» Comme cinquième conséquence du «Printemps arabe», M. Denécé a parlé d'une déstabilisation importante de l'Afrique de l'Ouest, et il accuse l'ancien président français, Nicolas Sarkozy, d'avoir une «responsabilité énorme sur ce qui s'est passé en Libye» et ses répercussions sur les pays de la région. Revenant sur l'épisode libyen justement, il regrette que l'ex-président français ait «foncé tête baissée contre l'avis des spécialistes», devenant ainsi de fait un allié des Américains. M. Denécé a ainsi évoqué plusieurs thèses qui pourraient éventuellement se produire à l'issue du «Printemps arabe» mais une chose est sûre pour lui, ces changements montrent bien «que l'Europe, désormais, n'a pas de politique ni de grande influence dans le monde».