La solution à l'interminable crise politique tunisienne passe nécessairement par le puissant chef du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, mais sa volonté de maintenir son mouvement coûte que coûte au pouvoir a fait échouer les efforts déployés jusque là, jugent des analystes. Celui que ses partisans appellent "le cheikh" en signe de respect n'a pas caché ses intentions, martelant devant des milliers de partisans le 16 février qu'"Ennahda est la colonne vertébrale de la Tunisie et la briser ou l'exclure porterait atteinte à l'unité nationale". Trois jours plus tard, son numéro 2 au sein du parti, le Premier ministre Hamadi Jebali, démissionnait faute d'avoir pu imposer à M. Ghannouchi l'idée d'un gouvernement de technocrates pour sortir de la crise sans précédent provoquée par l'assassinat le 6 février de l'opposant anti-islamiste Chokri Belaïd. "Rached Ghannouchi, chef inamovible d'Ennahda depuis 35 ans, est actuellement (...) le chef de la Tunisie, celui sans lequel et surtout contre lequel rien ne peut se faire", résume le politologue Ahmed Manaï. Chef de file des "durs" du parti, M. Ghannouchi dispose d'une légitimité interne indéniable qui lui a permis de faire échouer M. Jebali. Signe de son influence, même les figures du courant modéré d'Ennahda se sont gardées d'exprimer publiquement leur soutien au Premier ministre démissionnaire. "M. Ghannouchi est respecté par tous les partisans (d'Ennahda) même ceux qui critiquent ses choix politiques", note l'analyste Slaheddine Jourchi, fin connaisseur du mouvement. Le chef islamiste justifie sa fermeté par "la légitimité des urnes", Ennahda ayant remporté plus de 40% des suffrages lors de l'élection de l'Assemblée nationale constituante en octobre 2011. "Donc tous ceux qui veulent traiter avec les autorités sont dans l'obligation de passer par" le chef d'Ennahda, constate encore M. Jourchi. Ainsi si le ministre de l'Intérieur Ali Larayedh a été chargé de former un nouveau cabinet, ce modéré garde le silence sur ses pourparlers pendant que Rached Ghannouchi multiplie les interventions dans les médias sur la création imminente d'une coalition élargie. Cette offensive médiatique a fait grincer les dents d'Ettakatol, l'un des deux partis laïcs alliés à Ennahda dans le cabinet sortant, ainsi que chez les éditorialistes. "C'est du n'importe quoi. Il fait ses calculs arithmétiques et politiques", relève Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol. "Il n'y a rien de conclu. Nous avons maintenu nos conditions, à savoir la neutralité des ministères de souveraineté et l'élargissement (de la coalition) pour un consensus national", a-t-il ajouté. Ennahda se montre en effet réticent à confier les ministères de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères à des indépendants, une revendication exprimée par une large partie de la classe politique. Le quotidien La Presse a aussi tiré à boulets rouges dimanche sur les annonces de M. Ghannouchi. "A chaque articulation, à chaque évènement décisif que traverse le pays, Rached Ghannouchi monte au créneau, fixe le tempo et trace la voie à suivre", note le journal. Ce "qui saute aux yeux, qui irrite et ne fait que perdurer le flou est que le président d'Ennahda n'est pas dans son rôle et outrepasse carrément ses prérogatives", poursuit La Presse pour qui "il est temps que les velléités hégémoniques d'Ennahda cessent". Dans son discours d'adieux aux Tunisiens, M. Jebali a d'ailleurs réitéré son avertissement que seul un "gouvernement neutre" était à même d'apporter au peuple "des solutions claires et urgentes". Ennahda doit rassembler le plus largement possible pour achever la rédaction de la Constitution, en cours depuis 16 mois et paralysée faute de consensus, ainsi que fixer un calendrier électoral.