Deux ans après la vague de révoltes qui a secoué des pays arabes, il semblerait qu'en matière de droits des femmes, le combat est encore long, voire même plus long qu'avant la chute de certains régimes et l'arrivée des partis islamistes au pouvoir. La crainte d'un retour en arrière a été exprimée par des enseignantes chercheurs arabes dans une conférence-débat organisée hier par le quotidien El Khabar à l'Ecole supérieure de journalisme d'Alger. Dans son intervention, la Tunisienne Raja Ben Slama, psychanalyste, a souligné que le mouvement populaire qui a scandé le célèbre slogan, «le peuple veut la chute du régime», s'était inspiré du mouvement des partis de gauche en 2004. Ces derniers avaient décidé de participer pour la première fois aux élections présidentielles en tant qu'opposition, avec pour slogan, «le peuple veut l'alternance au pouvoir». Les femmes, massivement présentes dans les manifestations hostiles au pouvoir, avaient, a précisé Mme Ben Slama, réclamé, dès le début de la révolution, la sécularisation des lois et l'adoption du principe de la parité. En avril 2011, elles obtiendront satisfaction. Une loi portant parité sur les listes électorales a été promulguée. L'intervenante explique que la Tunisie connaît toujours le processus de révolution mais qu'elle fait face également à une contre-révolution menée par le parti au pouvoir, Ennahda, qui a modifié son programme en remplaçant le terme «religion» par «révolution». Le parti s'est autoproclamé «garant de la révolution» en mettant en place des «ligues de défense de la révolution» qui s'apparentent plus aux milices des régimes dictatoriaux et sont responsables d'actes de violence. Dans ce climat, les droits des femmes sont plus que menacés d'autant plus qu'elles ont été évincées du paysage médiatique et de la scène politique, selon la psychanalyste, qui regrette que les femmes n'aient obtenu que deux portefeuilles dans l'actuel gouvernement, ceux de l'Environnement et … de la Femme. Les droits protégés Aussi, peu de femmes ont été désignées têtes de liste par les partis politiques toutes tendances confondues, regrette Ben Slama. Elle explique d'ailleurs que ces comportements résultent des principes de masculinité spontanée, (les hommes seraient convaincus inconsciemment de l'inaptitude des femmes à occuper des postes de responsabilité) et de la masculinité idéologique, qui s'obstine à démarquer les apparences des hommes et des femmes (barbes pour les hommes et hidjab pour les femmes) pour mieux marquer leurs différences comme pour insinuer qu'une égalité entre les deux sexes ne serait donc pas possible, explique la chercheuse. Cette masculinité repose également sur le principe de la Qawama (intendance et prise en charge matérielle des femmes par les hommes, ndlr) dans une société qui a évolué et où la Qawama n'aurait plus de sens, estime l'intervenante, argumentant que l'ancien modèle de la famille est révolu, un tiers des travailleurs sont des femmes indépendantes donc matériellement. Face à ces données, Mme Ben Slama explique que le parti islamiste au pouvoir, Ennahda, s'est vu forcé de «modérer» son discours et de faire des concessions en abandonnant le projet d'article de la Constitution consacrant «la charia islamique comme source de législation» en mars 2012, ainsi que la modification du statut personnel stipulant l'égalité des sexes, en août 2012. Malgré les dangers qui pèsent sur les acquis des Tunisiennes, les plus émancipées des femmes arabes, Mme Slama juge qu'elles s'en sont jusque-là bien sorties. «Malgré une vision rétrograde de la femme, considérée comme source de débauche de la société, Ennahda, qui reproduit le discours de l'extrême droite européenne, n'a pas pu toucher aux droits des femmes. Les Tunisiens, conscients, y veillent», a-t-elle fait savoir. Pour sa part, l'Egyptienne Marry Daniel, du mouvement Mina Daniel, a réfuté le terme de «printemps» expliquant que la révolution était toujours en cours dans son pays, la chute de la tête du régime ne signifiant pas la chute du régime. Elle énumérera, d'une voix émotive, les différents malheureux évènements après la chute de Moubarak et où les femmes ont été les cibles de graves atteintes à la dignité humaine. Les femmes, premières victimes Outre les viols collectifs dans les mouvements de foules, les militantes égyptiennes ont dû faire face à l'humiliation de la part des militaires. Des féministes arrêtées et soumises à des tests de virginité en mars 2011 aux manifestantes piétinées et dénudées en octobre-novembre 2011, les Egyptiennes ont payé cher leur activisme. Malgré cet état de fait inquiétant, Mme Daniel est optimiste quant à une évolution dans le bon sens. «Le rêve est permis», dira-t-elle. «Les femmes ont organisé une marche des plus impressionnantes pour réclamer leurs droits ; elles n'ont pas quitté « el mayden» (le terrain) et ne le feront pas jusqu'à l'adoption de textes de loi garantissant leurs droits et ceux des enfants. Malheureusement, notre constitution ne le fait pas», a-t-elle ajouté. La situation des femmes en Syrie n'est pas plus réjouissante. Pis encore, elle est même l'une des plus inquiétantes. Lama Tayara, chercheuse syrienne en information et en production culturelle et cinématographique, a mis en garde contre le rôle des médias dans la désinformation sur ce qui se passe actuellement dans son pays. «Nous ne vivons pas un printemps arabe mais un hiver syrien», dira-t-elle. Pour l'intervenante, les Syriens ne vivent pas une révolution mais le chaos. Une situation terrifiante et incompréhensible qui ne permet pas pour l'instant de voir ce à quoi elle aboutira, encore moins en matière des droits des femmes. Elle précise cependant que sa situation n'a jamais été aussi dramatique. Le nombre élevé d'homme tués, kidnappés ou arrêtés a mené les femmes à pâtir de la pauvreté et de l'insécurité. La spécialiste de l'image soulignera également que l'image de la femme syrienne est très stéréotypée dans les productions syriennes très populaires dans le monde arabe et précisera, lors du débat qui a suivi la conférence, que la femme syrienne et arabe a besoin d'une révolution contre le poids des traditions et coutumes archaïques des sociétés patriarcales. Pour sa part, la journaliste algérienne, Samia Belkadi, a rappelé, dans son intervention, les résultats de la «révolution algérienne» d'octobre 88. Leur statut menacé, les Algériennes ont alors milité pour leurs droits. Elle juge le bilan des acquis satisfaisant et regrette que l'arsenal juridique ne soit pas appliqué. Elle regrette également la baisse de vitalité des militants des droits des femmes actuellement. Le débat qui a suivi a été marqué par une «impertinence» des questions posées et des réquisitoires pro-islamistes des étudiants en master de journalisme et de sciences politiques. Pires étaient les interventions de deux enseignants universitaires. La chercheuse tunisienne, Raja Ben Slama, particulièrement attaquée par un grand nombre de présents qui accusent les intervenantes d'anti-islamisme, voire d'islamophobie, a conclu le débat en rappelant que l'arrivée des islamistes au pouvoir a mis en relief leur amateurisme politique. «Focalisés sur la femme et la vie sexuelle des citoyens, on a pu constater qu'ils n'avaient pas de programme politique, économique et culturel», a-t-elle dit. Elle expliquera, par la suite, à des journalistes, que «ces frustrations et cette crainte de l'émancipation des femmes reflètent une crainte de la castration. C'est la psychanalyste qui parle».