Crainte - La large avance des islamistes d'Ennahda aux premières élections libres en Tunisie suscite frustration et inquiétude parmi les démocrates et l'électorat féminin. Le mouvement islamiste tunisien Ennahda s'est, pour sa part, dit prêt à construire «un régime démocratique basé sur les valeurs de l'islam», a déclaré son président Rached Ghannouchi. «Notre programme vise à mettre en place un modèle de développement national ayant comme points de repère les valeurs islamiques», ajoute Ennahda, qui revendique souvent sa proximité idéologique avec l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie. Le mouvement a présenté un programme intitulé «pour une Tunisie de la liberté, de la Justice et du développement» de quoi apaiser les appréhensions de beaucoup de Tunisiens. Pourtant, la crainte et la peur de la prise du pouvoir par les islamiste sont présentes et réelles. Membre de la Ligue de défense des droits de l'Homme en Tunisie, Balkis Mechri «craint les retombées négatives sur la condition féminine». «Nous vivons un moment de choc, avec la difficulté de rationaliser, tristesse d'un côté et euphorie de l'autre», constate, pour sa part, Naïma Ben Youssef, psychologue. «Je ressens, ajoute-t-elle, une agressivité projetée sur les femmes, une régression primaire dans la course malsaine au pouvoir». Des inquiétudes que se forcent de dissiper Ennahda en s'engagent à «garantir la liberté de croyance et de pensée» et «les droits des minorités religieuses», et à «préserver les acquis de la femme». Il s'agit d'un «double discours, officiellement modéré mais réactionnaire à la base», répondent les défendeurs d'une Tunisie sécularisée. En tout état de cause, cette avancée presque inattendue des islamistes en Tunisie «devrait se reproduire dans les autres pays du «Printemps arabe», à lire l'analyse de Khattar Abou Diab, politologue et professeur en relations internationales à l'université Paris-Sud. Pour lui, «L'islam politique est le passage obligé pour les changements démocratiques dans le monde arabe». C'est «la force politique la plus puissante dans le monde arabe, la mieux organisée et la mieux financée», explique-t-il. Abou Diab estime que les mouvements islamistes longtemps «réprimés par des régimes laïques mais autoritaires ont mené, au fil des ans, une silencieuse révolution par le bas grâce à la prédication et à un réseau efficace d'associations caritatives». C'est ainsi que Ennahda a «réactivé ses réseaux déjà existants, alors que les autres partis n'ont pas eu le temps de présenter leur programme», affirme Agnès Levallois, spécialiste du monde arabe. «Les islamistes se sont présentés comme des personnes intègres et honnêtes parce qu'ils n'ont pas encore géré le pays, et une partie des Tunisiens ont voulu tenter cette solution. Le fait d'avoir été victimes leur confère une certaine légitimité», explique- t- elle.