C'est avec une grande délectation que l'on savoure les cinq nouvelles du recueil de Abderrahmane Zakad paru récemment aux éditions Alpha.Différentes par leurs thématiques, les cinq nouvelles se rejoignent toutefois par la sagacité du récit et par cette lucidité omniprésente dans chacune. Mais le tout ressemble à une satire sociale. C'est une sorte de pamphlet de la société. Celle-ci est passée dans un fin crible pour comprendre ce qu'est devenu l'Algérien par ces temps de malvie et de perte de repères identitaires et de référents culturels. La première nouvelle, Une enfance au M'zab, nous introduit dans l'univers clos d'un môme devenu ado en quête de savoir et de connaissances du monde qui l'entoure. Très lénifiante, elle rappelle cette insouciance et innocence propre à cette période de la vie qui s'incruste à jamais dans notre subconscient et marque les facettes de notre personnalité. Tranquillisante et ingénue, cette étape, l'auteur l'a façonnée et lui a appris les vraies valeurs morales dont il se prévaut. C'est aussi l'apprentissage de l'enfant devenu adulte malgré lui, suite à la mort de cet oncle bienfaiteur et sage. Il y dévoile la vie dans cette contrée du pays où la solidarité, l'entraide ne sont pas de vains mots. Avec Passation de consignes, qui relate la mise à la retraite d'un fonctionnaire, l'écrivain met le doigt sur une Algérie exsangue, mortifère, où la forfaiture, la concupiscence et la concussion ont pris le pas sur les valeurs de Novembre et les constantes de l'Etat. De diatribes en critiques, il décrit un système politique déliquescent et une société civile dont seule le clinquant, l'argent, lui importent. Il déplore que le système politique a dévoyé l'Algérien altruiste et brave. «Il prendra les chemins les plus tortueux pour s'enrichir, il ira jusqu'à abattre un ami ; l'homme en politique est tel un gladiateur dans l'arène, il combat avec hargne et conviction pour rester debout», dit-il avec conviction. Avec beaucoup de clairvoyance, l'auteur fait un réquisitoire de la modernité mal comprise par les Algériens ; aussi s'interroge-t-il avec mordant et dérision : «Est-ce pour cela qu'ils s'accrochent à leur portable qui leur sert de cordon ombilical les reliant à leur nouvelle mère : la modernité ?» La nouvelle La bévue introduit le lecteur dans l'univers du lumpen prolétariat qui a comme seuls compagnons l'indigence, le dénuement, le désarroi et le désespoir. Aspirer à une vie meilleure, à une petite place au soleil, à un petit coin de paradis, tel est le vœu de ce vagabond. Voyant des gueux devenus parvenus, s'enrichir, sans vergogne, l'idée ne lui paraît pas si saugrenue. Pourquoi pas moi, se dit-il en son for intérieur. Manu militari, il passe à l'action en volant un coffre dans une maison. Surpris, il tue pour s'échapper. Mais savait-il le pauvre bougre que c'était sa sœur qui gisait dans cette mare de sang ? Abderrahmane Zakad conduit avec panache ses personnages très divers au gré de son imaginaire fécond. Ces personnages anodins, lestés à leur société déliquescente et à leurs vies étriquées, sont menés avec adresse par le jeu du narrateur qui les manipule au gré de ses humeurs. L'auteur dévide son imaginaire puisé du substrat social pour évoquer la condition humaine des hères pris entre les tenailles du destin. Ces écrits sont des instantanés de vie rondement bien conduits avec un tantinet de raillerie et de dérision. Ces histoires gravitent autour de cette triste réalité amère dans laquelle baigne tout un chacun. L'auteur interpelle et persifle notre société sans âme qui a perdu toute vraie valeur morale et qualité de cœur, comme nos ancêtres savaient en faire bon usage. Pour l'auteur, la modernité telle que comprise à l'heure actuelle, c'est du pipo !L'écriture de Abderrahmane Zakad est fluide, alerte, tonique. Ses nouvelles témoignent d'une intense subtilité et d'une grande culture.Ce recueil de nouvelles doit être lu par tout vulgum pecus pour mieux comprendre notre société.