"Une vie brève" est le titre du livre que vient de publier Michèle Audin, dédié à son père Maurice Audin, mathématicien, membre du parti communiste algérien (PCA) et militant anticolonialiste, arrêté à son domicile à Alger, au cœur de la "Bataille d'Alger", le 11 juin 1957, et torturé à mort par les parachutistes du général Massu. Dans ce récit de 200 pages, paru aux éditions Gallimard, les données sont posées d'entrée par Michèle Audin qui avertit le lecteur que "l'affaire Audin" n'est pas le sujet de ce texte. "Je ne vois d'ailleurs pas ce que je pourrais ajouter à une vérité, brève elle aussi, et brutale: Maurice Audin avait 25 ans en 1957. Il a été torturé par l'armée française, il a été tué. On a organisé un simulacre d'évasion et fait disparaître les traces de sa mort, comme l'a établi l'enquête menée par l'historien Pierre Vidal-Naquet en 1957-1958", au terme d'une minutieuse enquête. "Ici vous n'apprendrez rien de nouveau sur cette affaire. Ni le martyr, ni sa mort, ni sa disparition ne sont le sujet de ce livre", a-t-elle ajouté, soulignant que "c'est au contraire de la vie, de sa vie dont toutes les traces n'ont pas disparu", qu'elle entend parler au lecteur. A travers son livre, elle part sur les traces lointaines dans le temps et l'espace du père, traversant Béja (Tunisie), le lieu de naissance de Maurice, et l'Algérie dans les années 1930, 1940 et 1950, et apprend au lecteur à voir Maurice Audin vivre une vie, aussi "brève", soit-elle. Dans ce récit pudique et émouvant, le défi de Michèle Audin, semble alors double: comment écrire autrement sur Maurice Audin, victime emblématique de la barbarie colonialiste? Comment décrire cet homme qui a vécu "une vie brève" et comment raconter la vie de ce patriote algérien d'origine européenne? Les mathématiques sont au centre de cette "vie brève", où elles occupent une place importante dans le récit de Michèle Audin, mathématicienne elle aussi, comme son père et qui rappelle que la thèse de doctorat de Maurice Audin sera soutenue en décembre 1957, après sa mort. "Une vie brève" est aussi une histoire d'amour entre un père et sa fille qui évoque "ses mains magiques, ses compétences", se souvenant que "ce jeune homme lumineux était épris de justice et de liberté". Emmené, torturé et tué dans un immeuble situé sur l'avenue Georges-Clemenceau "C'est un immeuble en construction de ce qui s'appelait l'Avenue Georges-Clemenceau et qui porte aujourd'hui le nom de Ali Khodja à El Biar que les parachutistes torturaient (…). C'est là aussi qu'ils l'ont emmené, torturé et tué", raconte la fille de Maurice Audin. "J'avais beaucoup pleuré en réclamant mon père, j'avais donné des coups de pieds aux paras en leur criant de s'en aller de notre maison", écrit-elle dans son récit. "Je me souviens d'une immense crise de sanglots et de larmes, au cours de laquelle, je le réclamais et que ma mère avait fini par calmer, en me promettant de m'emmener au cirque, ce que j'avais accepté avec un peu de honte et beaucoup de satisfaction", a-t-elle confié. Maurice Audin était un militant actif du PCA, auquel il avait adhéré en 1950. Il croyait fermement à une Algérie indépendante pour laquelle il s'était engagé. Dans la nuit du 11 juin 1957, Audin est arrêté à son domicile par des militaires du 1er régiment de chasseurs parachutistes. Sans nouvelles de son mari, Madame Josette Audin apprend des autorités militaires le 1er juillet 1957, qu'il "se serait évadé". Comme l'ont rapporté plusieurs témoins, dont le journaliste Henri Alleg dans son ouvrage "La Question", Maurice Audin a été torturé et tout porte à croire qu'il est mort sous la torture. Les circonstances exactes de la mort de cet assistant de mathématiques à l'université d'Alger, et militant de la cause anticolonialiste n'ont jamais été communiquées officiellement. Le dossier du ministère de la Défense sur Maurice Audin, disparu, à Alger le 11 juin 1957, après avoir été arrêté par des militaires français, est aujourd'hui consultable, selon un arrêté paru au Journal officiel du 23 février 2013. Cet arrêté du 1er février, instituant une dérogation générale pour la consultation d'archives publiques relatives à la disparition de Maurice Audin, signé par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, est daté du jour où Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, a reçu une copie de ce dossier des mains du ministre, conformément à l'engagement du président François Hollande. Josette Audin, avait annoncé, lundi 17 décembre 2012, que le président François Hollande s'était engagé à lui faire remettre tous les documents relatifs à la disparition de son époux. Elle avait précisé avoir reçu un courrier du chef de l'Etat, dans lequel il assurait avoir "demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, de vous recevoir afin de vous remettre en mains propres l'ensemble des archives et documents en sa possession relatifs à la disparition de votre mari". Le président Hollande avait assuré également à Mme Audin que la France "doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d'abord, mais également envers l'ensemble des citoyens".