Dix ans après, Tony Blair n'en finit pas de se justifier à propos de sa décision très impopulaire de partir en guerre au côté du président américain George W. Bush contre "le tyran Saddam". Sans réellement convaincre ses concitoyens. "Je continue de croire qu'il fallait déposer Saddam" Hussein, le président irakien, assurait encore début mars l'ex-Premier ministre britannique âgé de 59 ans, dans une interview à la chaîne ITV. "Des centaines de milliers de gens ont trouvé la mort dans les guerres qu'il a entreprises. Il a eu recours à des armes chimiques contre son propre peuple", rappelle-t-il. "Si on avait laissé Saddam au pouvoir en Irak, il se serait produit un carnage pire encore que celui en cours en Syrie, sans espoir de solution en vue", a plaidé pour la énième fois l'avocat de profession. Qui, au passage, préconise d'armer les rebelles syriens au nom du même devoir d'ingérence, à dix ans d'intervalle. Le discours n'a guère varié depuis 10 ans, si ce n'est qu'il laisse poindre une dose de fatalisme. "J'ai pris une décision que je croyais juste. Et je l'ai prise sciemment en sachant qu'elle serait très impopulaire", a insisté Tony Blair auprès de ITV. La pilule irakienne passe toujours mal dans son propre camp travailliste. "Bush est la pire chose qui soit arrivée à Blair", a commenté sur la même chaîne l'ex-ministre des Affaires étrangères David Miliband, à l'évocation de l'improbable attelage politique formé à l'occasion de la guerre d'Irak. L'ancien ambassadeur britannique à Washington, Sir Christopher Meyer, a récemment dit la même chose, en d'autres termes, dans les colonnes du Daily Telegraph conservateur. Tony Blair, selon lui, était devenu un "membre honoraire du premier cercle constitué de néo-conservateurs et faucons qui dictaient la politique américaine". Pour quel résultat, avec le recul? A la BBC, fin février, Tony Blair concédait qu'en dépit d'un bilan globalement positif, l'après-Saddam ne va pas sans "de gros problèmes". "Il y a encore des activités terroristes qui provoquent des morts... des innocents tués sans raison, mais l'économie croît très fortement, le revenu pétrolier est considérable", soulignait-il. "La tache" irakienne La guerre d'Irak tend à occulter le bilan de dix années de Blairisme de 1997 à 2007. Elle a contribué à écourter son troisième mandat au 10 Downing street, et à l'écarter de la course à la présidence de l'UE. "C'est la tache dans un bilan par ailleurs impressionnant", a estimé l'intéressé dans "A Journey" (un voyage), son autobiographie. Un sondage YouGov réalisé à l'occasion du dixième anniversaire du conflit le confirme: 53% des Britanniques pensent que la décision de partir en guerre en Irak était mauvaise, contre 27% qui l'approuvent. Et les détracteurs les plus remontés, au sein de la coalition "Stop the war", continuent d'exiger que Tony Blair réponde en justice de "ses crimes de guerre", et perturbent chacune des rares apparitions publiques de l'ancien Premier ministre en son pays. Une commission d'enquête est censée faire toute la lumière sur les conditions de l'engagement de la Grande-Bretagne en Irak, à laquelle ont pris part 45.000 soldats britanniques, dont 179 revenus dans des cercueils. Ses membres ont entendu des centaines de témoins, chefs militaires, maîtres-espions, politiques, diplomates. Blair lui-même a déposé à deux reprises, en 2010 et 2011, pour marteler sa conviction "qu'il n'y avait pas d'alternative à la guerre" contre "le monstre Saddam". Les conclusions de la commission ne sont pas attendues avant fin 2013. En attendant, Tony Blair, discret sur la scène nationale, sillonne le monde pour le compte du Quartette au Proche Orient, donne des conférences et prodigue des conseils lucratifs à des banques et gouvernements, quand il ne se fait pas le chantre de la bonne gouvernance en Afrique, du dialogue inter-religieux ou de la lutte contre le réchauffement de la planète.