"Transparence" pour les uns, "voyeurisme" pour les autres: les ministres français dévoilent lundi leur patrimoine, conséquence de l'affaire Cahuzac et première étape d'une moralisation voulue par François Hollande pour restaurer la confiance entre le monde politique et les citoyens. Pour la première fois en France, les patrimoines des 37 membres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault devaient être publiés en fin d'après-midi sur le site "www.gouvernement.fr". Une majorité de Français y est favorable, même si une partie de la classe politique redoute un grand déballage, après le scandale des mensonges de l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac sur sa détention d'un compte bancaire secret à l'étranger. "Dans toute une série de pays, cette transparence existe et est entrée dans les mœurs", souligne l'entourage du chef du gouvernement socialiste, qui reconnaît toutefois que cette mesure n'aurait pas suffi pour découvrir le compte caché de Jérôme Cahuzac. Certains membres du gouvernement ont déjà pris les devants, s'attirant les railleries de l'opposition de droite moquant une "course au plus pauvre" entre les ministres propriétaires de Renault 4L hors d'âge ou d'objets d'art pour un montant global de 1.400 euros... A droite, certains ont également anticipé la future règle, comme l'ancien Premier ministre François Fillon: "Même si je ne suis pas enthousiaste à cette idée, la transparence sur le patrimoine des hommes politiques étant pratiquée dans vingt-quatre pays sur vingt-sept (dans l'Union européenne), il faudra bien y passer". L'argent tabou La publication du patrimoine des ministres préfigure ce qui attend les parlementaires, présidents de collectivités territoriales et autres membres de cabinets ou hauts fonctionnaires. Un projet de loi de moralisation de la vie publique, promis par le président Hollande et présenté le 24 avril en conseil des ministres, devrait en effet leur imposer une même transparence, en dépit des réserves exprimées jusque dans la majorité. La critique la plus remarquée est venue du président socialiste de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone: "déclarer, contrôler, sanctionner, c'est de la transparence" alors que "rendre public, c'est du voyeurisme". Lundi, la ministre aux Personnes âgées, Michèle Delaunay, qui a déclaré pour son couple 5,4 millions d'euros, s'est dite inquiète du risque "d'opprobre", reconnaissant que son "patrimoine très important" est "difficilement compréhensible de la majorité des Français qui sont dans la difficulté". "Pauvre France! Avec l'accélération des déficits, du chômage, la nécessité de faire des réformes importantes, quel est le débat du jour? Comment on va faire une échelle de Richter des ministres les plus ou moins riches", a ironisé le chef de l'UMP, principal parti d'opposition de droite, Jean-François Copé. Pour lui, "la seule conséquence de tout ça, c'est que ce voyeurisme (fera que) un certain nombre de gens qui viennent de la société civile - commerçants, artisans, professions libérales - n'auront plus envie de s'engager pour le pays". L'objectif, "ce n'est pas la chasse aux riches", "c'est restaurer la confiance", en finir avec "la suspicion" de la population à l'égard des politiques, a insisté lundi le ministre chargé des relations avec le Parlement, Alain Vidalies. Il n'empêche qu'en lançant cette opération "mains propres", François Hollande s'est attaqué à un tabou de la société française. "En France, on ne sait pas exactement ce que gagne notre famille, nos amis ou nos voisins et ce serait très mal élevé de le leur demander", souligne ainsi la sociologue Janine Mossuz-Lavau. Auteure d'une enquête sur le rapport des Français à l'argent, après une enquête similaire sur la sexualité, elle avait constaté que les interviewés, quelle que soit leur origine, "parlaient beaucoup plus difficilement de l'argent que de la sexualité".