L'initiative présentée par l'ambassadeur américain à l´ONU, Susan Rice, en faveur de la mise en place d´un mécanisme de surveillance des droits de l´homme au Sahara occidental est en soi une victoire pour le Front Polisario. C´est la première fois, en effet, que les Etats-Unis ont parrainé un projet prenant en charge une préoccupation essentielle du mouvement indépendantiste sahraoui. Une préoccupation partagée surtout par l´influent Centre Robert-Kennedy qui œuvre à la protection des droits de l´homme dans le monde, notamment dans un territoire colonisé qui ne constitue pas, pourtant, une priorité de la diplomatie américaine. De la société civile américaine si. Pour la première fois, donc, un gouvernement des Etats-Unis a investi de plain-pied le terrain le plus tabou pour son allié le plus fidèle au Maghreb et en Afrique. Le terrain des droits de l´homme au Sahara occupé. C´est une démonstration irréfutable que les Etats-Unis et l´Europe n´ont pas la même attitude à l´égard des principes et des valeurs universellement partagés.
Le bradage des valeurs universelles Tous les pays occidentaux ne font pas de la question humanitaire un principe non négociable de leur action extérieure, comme les Etats-Unis. Ce n´est pas la position que la France, sous la droite comme sous la gauche, a défendu sur la question du Sahara occidental. Le socialiste François Hollande, dont le discours politique paraît plus nuancé que celui de ses prédécesseurs de droite, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, a fait, jeudi dernier, l´impasse sur la protection des droits de l´homme dans une région du Maghreb. Il faut pourtant se rappeler que c´est, paradoxalement, un président socialiste français, François Mitterrand, qui, en 1991, avait forgé le concept de droit d´ingérence humanitaire, un instrument juridique encore plus dissuasif que ce que les Américains ont réclamé sans succès pour le peuple sahraoui. Pour «convaincre» Susan Rice «d'assouplir» ce projet inspiré par le nouveau Secrétaire d´Etat John Kerry, autrement plus sensible aux droits de l´homme au Sahara que son prédécesseur à ce poste, Hillary Clinton, pro-marocaine et amie irremplaçable d´Israël, la France a engagé son plus grand forcing diplomatique au Conseil de sécurité depuis la guerre de Libye. La France, qui a engagé militairement son armée dans le nord du Mali, s´est rendue compte de la souffrance humaine dans l´Azawad, seulement lorsque les salafistes avaient réussi à prendre le contrôle du dernier poste militaire malien verrouillant l´accès vers Bamako. C´est exactement ce que fit Nicolas Sarkozy pour déloger Laurent Gbagbo, le farouche adversaire de l´influence française en Côte d´Ivoire, du palais où il s´était retranché sous la pression des troupes de Lassane Ouattara encadrés par les paras français.
L´ensemble francophone Les intérêts géostratégiques de cette ancienne puissance coloniale constituent la ligne rouge de sa politique extérieure. Pour la première fois, Paris avait senti que le vent commençait à tourner «dans le mauvais sens» quand Washington avait rendu public son initiative sur l´élargissement de la Minurso. C´est, en effet, une menace claire pour son influence au Maghreb d´autant plus justifiable qu´elle partait de la nécessité de mettre en œuvre d´un principe que tous les gouvernements français défendaient, hors de zones sous influence française bien sûr, contre l´avis des organisations humanitaires internationales, Amnesty International et Humann Right Watch, ainsi que du Parlement européen. La France aurait eu moins de marge de manœuvre sur le terrain là où son action a contribué à consolider la situation de statu quo qui dure depuis 1991 au Sahara occidental. Les enquêteurs onusiens auraient recueilli des preuves irréfutables sur son implication directe dans le blocage d´une solution au conflit sahraoui, et l´espionnage des activités de la Minurso, le seul organisme onusien qui ne soit pas investi d´une mission de contrôle des droits de l´homme. Il est évident que les services secrets français renseignent le Maroc dans le détail sur les activités de l´ONU dans les territoires occupés. Son objectif d´ancienne puissance coloniale est de paralyser durablement le processus de décolonisation du dernier territoire colonial en Afrique. La raison de cet alignement inconditionnel sur les thèses marocaines est la suivante. Un Etat sahraoui hispanophone indépendant signifie une cassure de la logique géopolitique de l´ensemble francophone allant de Tanger au Rwanda où, en 2005, Jacques Chirac avait ordonné une intervention des soldats français déployés au Gabon pour sauver le régime pro-français copté dans ce pays par Paris.
Le Sahara contre Ceuta et Melilla A la différence des Etats-Unis, les pays du sud de l´Europe n´ont aucun scrupule à monnayer les principes universels. Sinon comment expliquer que le France fasse du coude-à-coude avec la Russie qui couvre les violations des droits de l´homme en Syrie pour faire échouer le projet américain sans que ces deux puissances soient obligées d´aller vers le veto ? Les intérêts particuliers sont convergeants puisque tant Paris que Moscou ont pour objectif majeur de réduire l´influence américaine au Maghreb et en Afrique. L´Espagne, ancienne puissance coloniale du Sahara occidental, a marqué son camp ailleurs, elle aussi, par son influence sur l´immense continent sud-américain. Voilà pourquoi, le 21 avril dernier, Kerry Kennedy avait dans une sorte de lettre ouverte lancé un appel à ce pays lui demandant de ne pas détourner le regard d´une tragédie dont il est le premier responsable pour avoir sacrifié la décolonisation du Sahara occidental et le droit de son peuple à disposer de son destin. Au centre du marché passé, en 1995, par Madrid avec Rabat, le Sahara occidental, plus connu sous la formule des «Accords secrets de Madrid», l´Espagne a obtenu le silence de l´expansionniste royaume alaouite sur «l´hispanité» de Ceuta et Melilla en contrepartie de l´abandon du Sahara, occupé depuis 1996 par le Maroc.