Meriane Meziane, SG du syndicat national autonome des professeurs du secondaire et du technique (Snapest) est aguerri dans la lutte syndicale depuis de nombreuses années. Interrogé hier par Le Temps d'Algérie, il s'est prononcé sur la célébration du 1er mai dans un contexte marqué par la montée de la fièvre sociale, et ce, dans tous les secteurs. Le Temps d'Algérie : M. Meziane, comment percevez-vous cette année la célébration du 1er mai, fête des travailleurs, dans un contexte où ces derniers se sont fortement mobilisés et continuent à le faire pour arracher leurs droits ? Meriane Meziane : Cette année, le 1er mai ne différera malheureusement pas des autres. Je m'explique : nous sommes toujours dans un marasme politico-social et bien que les syndicats se mobilisent comme chaque année d'ailleurs, nous n'arrivons toujours pas à obtenir la prise en charge de nos revendications. En outre, les syndicats autonomes sont toujours autant diabolisés et marginalisés en 2013 car nous ne sommes pas considérés comme un partenaire social avec lequel on peut ouvrir un dialogue et ce, bien que nous soyons agréés. C'est un constat amer que nous sommes obligés de dresser. Aussi, le contexte socioéconomique semble se détériorer d'année en année. La hausse de l'inflation et la baisse du pouvoir d'achat sont une donne incontestable et l'absence de contrôle par les pouvoirs publics est intolérable. Nous n'avons toujours pas enclenché le virage économique à même de nous faire sortir de cette économie de bazar et de rente qui caractérise notre pays et qui l'empêche d'assurer des salaires décents et un avenir pour nos générations futures. Ce marasme social aigu a également engendré de nombreuses inégalités sociales et salariales. Il faut désormais que les pouvoirs publics s'attardent sur la problématique relative à la politique salariale, et ce, pour sauvegarder les intérêts socioprofessionnels des travailleurs qui, malgré les augmentations survenues ces dernières années, ont du mal à boucler leurs fins de mois, l'inflation rognant leur pouvoir d'achat. Considérez-vous avoir obtenu quelques avancées en terme syndical ? A part l'ouverture au congé payé en 1988, le champ syndical a été vidé de sa substance. Nous n'avons ni libertés syndicales ni marge de manœuvre pour initier, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays, des rassemblements importants, de longues marches dans la capitale. On peut parler d'une avancée mais elle a été conjoncturelle. En janvier 2011, quand la pression de la rue a été telle qu'elle a interpellé le gouvernement, les syndicats autonomes ont été conviés à la présidence afin de défendre leurs propositions pour en finir avec ce qui produit de l'inégalité à outrance. Nous pensions que nos propositions allaient être examinées. Cependant, dès que la pression s'est réduite, la situation qui prévalait auparavant a primé et nous étions de nouveau marginalisés. A titre d'exemple, la grève qui touche les fonctionnaires du Sud s'éternise depuis des semaines sans que le Premier ministre, que nous avons sollicité à plusieurs reprises, ne daigne nous recevoir. Nous nous interrogeons réellement sur cette absence de considération. Je tiens également à dire que je défends les droits des travailleurs de la fonction publique et j'estime que nous sommes l'objet de nombreuses entraves aux libertés syndicales, mais au moins, nous avons une certaine visibilité. Nous ne pouvons pas en dire autant des acteurs syndicaux du secteur financier qui ne peuvent s'organiser, ce que nous déplorons. Dans notre pays, les libertés syndicales ne sont pas respectées. Selon vous, que reste-t-il à faire ? Tout, absolument tout reste à faire. Nous sommes loin d'avoir obtenu un quelconque acquis qui nous ferait nous reposer sur nos lauriers. La lutte syndicale est de longue haleine et nous comptons y apporter notre contribution ; nous ne baisserons pas les bras malgré tous les obstacles auxquels nous sommes confrontés. Pensez-vous que votre combat syndical peut évoluer, avoir une tout autre envergure avec la création de la confédération des syndicats autonomes (CSA) ? Oui, c'est sûr que nous espérons avoir une tout autre portée avec le CSA. Nous espérons vraiment que cette confédération atteindra son but, à savoir créer un rassemblement loin de toute querelle de leadership. Nous souhaitons que ce rassemblement soit une occasion pour arracher nos droits et nous imposer vis-à-vis des pouvoirs publics comme un partenaire social incontournable. Nous espérons également apporter un plus dans le paysage syndical et faire contrepoids à l'UGTA qui a sa philosophie propre que nous ne partageons pas. Nous, nous sommes revendicatifs et nous ne lésinerons pas sur les moyens pour arracher nos droits. Nous sommes en train de parfaire les textes qui régiront le CSA. Nous devons déposer notre dossier d'agrément d'ici peu. Selon nous, notre demande sera un autre test pour les pouvoirs publics, c'est-à-dire voir s'ils marqueront leur volonté ou non de reconnaître le CSA comme un partenaire social ou nous marginaliser de nouveau. Pensez-vous que les Algériens ne se battent pas suffisamment pour arracher leurs droits ? Il y a une certaine lassitude du côté de la population mais ce n'est pas parce qu'elle est amorphe. Ce sentiment vient de l'expérience du multipartisme puis de la décennie noire qui s'en est suivie. Le peuple n'a pas eu le temps de profiter de la parenthèse démocratique que le sang coulait déjà. Cette lassitude émane aussi du manque de visibilité. Les Algériens n'arrivent pas à se situer car l'Etat manque de transparence dans sa politique économique, éducative et sociale. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer l'Algérien. A tout moment, ce silence peut devenir dangereux. Un syndicaliste américain à la veille du 1er mai 1986 annonçait qu'«un jour viendra où notre silence sera plus puissant que nos voix que vous étranglez aujourd'hui». je suis d'accord avec ces paroles. Pour moi, tout est une question de temps. On ne peut continuellement entraver les libertés syndicales et individuelles sans qu'il y ait une réponse des intéressés. Toutefois, cela risque de déboucher sur une protestation violente. Nous souhaitons que les pouvoirs publics prévoient une transition pacifique qui réponde aux aspirations de la majorité de la population en termes de liberté syndicale, individuelle, et aussi la possibilité d'avoir un scrutin libre et démocratique pour que les Algériens puissent choisir les hommes à même de rétablir la bonne gouvernance. Les Algériens n'ont-ils pas tendance à oublier qu'ils ont des devoirs ? Peut-être que les Algériens ont tendance à oublier qu'ils ont aussi des devoirs envers l'Etat, toutefois, j'impute cela à nos responsables qui ne dirigent pas les Algériens de façon à leur faire comprendre que leurs droits découleront également de leurs devoirs. De plus, j'estime qu'avant de s'acquitter de leurs devoirs, les Algériens doivent obtenir leurs droits. Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent stabiliser le marché, encourager la valeur du travail et non pas la médiocrité. Il faut diriger le peuple vers le chemin de la productivité pour assurer la stabilité du pays. Le pétrole n'est pas éternel. La chute du prix du baril de pétrole risque de menacer notre pays et créer un déséquilibre social. Il faut d'ores et déjà entamer un virage économique, les Algériens doivent produire et consommer ce qu'ils ont façonné de leurs mains car si l'on reste sur le même paradigme économique, qui va assurer la gratuité des soins médicaux, de l'éducation ? Notre modèle social sera en danger, il est temps de se réveiller.