Les vieux habitants de la région de Guelma se souviennent encore, 68 ans après les massacres perpétrés par la France coloniale, le 8 mai 1945 et les jours qui s'en suivirent, des enfants et des écoliers exécutés et brûlés dans le four à chaux de Marcel Lavie, à Héliopolis. Le moudjahid Saci Benhamla (87 ans), un des membres actifs d'une association de défense des droits des victimes de ces massacres, membre également de la Fondation du 8 mai 1945, revient sur une scène qui l'avait profondément marqué alors qu'il n'avait que 19 ans. A l'entrée de la localité de Belkheïr (ex-Millesimo), au lieudit "le petit pont", l'armée coloniale française "a tiré à bout portant sur Brahim Kateb, âgé de 12 ans, tuant aussi sa mère Nafissa, enceinte de six mois, et son père Mohamed", raconte-t-il d'une voix tremblante. Mohamed Kateb, poursuit ce témoin, était fonctionnaire à l'école de formation agricole de Guelma. Lui, et une vingtaine d'autres algériens civils et désarmés, exécutés par le secrétaire général de l'agglomération de Millesimo, ont été transférés à 5 km du lieu de cette tuerie pour être brûlés dans le four à chaux d'Héliopolis. Saci Benhamla, l'un des derniers témoins des massacres du 8 mai 1945 et de passé peu glorieux de la France à cette époque, joint par l'APS, considère que ce génocide, dans la région de Guelma, était "bien planifié", de même que les étudiants et les écoliers algériens étaient "la cible des milices françaises". Revenant 68 ans en arrière, M. Benhamla évoque, d'une voix traduisant une profonde amertume, qu'Henri Garivet, enseignant français à Guelma à cette époque, s'était proclamé chef des milices chargées de réprimer dans le sang des manifestations pacifiques des Algériens. Lorsqu'il fut chargé par le sous-préfet de Guelma, André Achiary, de préparer une liste d'Algériens pour être exécutés, il lança "laissez-moi commencer par mes élèves", affirme ce témoin. Il précise qu'Henri Garivet avait bel et bien "élaboré sa liste où figuraient ses élèves avec qui il a pris une photo-souvenir de l'année scolaire 1935", fusillés le 11 mai 1945 dans l'ancienne caserne du centre-ville de Guelma, en même temps que neuf (9) autres militants, tous enfouis dans le four à chaux d'Héliopolis appartenant à un industriel puissant de l'époque, dénommé Lavie. Un document officiel d'archives, détenu par la Fondation du 8 mai 1945, prouve la teneur d'une correspondance du commissaire Buisson, chef de la brigade mobile de Guelma, adressée le 23 mai 1945 au directeur de la sûreté générale d'Algérie. Une lettre qui atteste que "Smail Belazzoug, les frères Ali et Yacine Abdou, Abdelkrim Bensouilah, Mohamed Douariria, Ahmed Ouartsi et Mohand-Ameziane Oumerzoug, +excitateurs+ qui avaient dirigé et participé aux manifestations, ont été fusillés". D'autres documents évoquent l'étendue de l'ethnocide du 8 mai 1945. Au moment où les troupes alliées célébraient la libération de la barbarie nazie, les agglomérations de Belkeir, de Boumehra, d'Oued Chham, de Lakhzara, se souviennent toujours de "l'autre 8 mai 1945". M. Abdelaziz Bara, secrétaire général de la Fondation du 8 mai 1945, affirme que des documents d'archives font état de "18000 guelmois, parmi la population civile algérienne, qui ont péri dans la sinistre besogne française d'extermination d'innocents". Ce mardi-là, précise encore M. Bara, "était jour de marché hebdomadaire à Guelma. La manifestation pacifique à laquelle 2.000 Algériens ont participé a débuté depuis le lieudit +El Kermat+, à l'extérieur de l'enceinte de la ville, un lieu réservé aux diverses pratiques sportives." Les manifestants, poursuit M. Bara, "portaient des banderoles, des drapeaux étrangers et, tout au milieu, le drapeau algérien (…..), la marche fut stoppée par la police commandée par Achiary, près du Café de France, aujourd'hui Café d'Alger. Un coup de feu part et abat Hamed Boumaza, d'autres, beaucoup d'autres suivront", ajoute le secrétaire général de la Fondation du 8-Mai 1945. D'autres témoignages rapportent "le bain de sang déclenché par les milices françaises, les aveugles chasses à l'homme, les exécutions massives avec, en prime, les bombardements de l'aviation française, pendant des jours, sur des villages et des dechras de la région de Guelma". Des Algériens qui travaillaient à l'époque dans les chemins de fer, ont attesté, dans leurs témoignages, que tout au long des trajets des trains, dans la région de Guelma, "de nombreux corps qui ne pouvaient être enterrés étaient jetés dans les champs". Pour un étudiant de l'université de Guelma, Mouloud H. (26 ans), "derrière le 8 mai 1945, date de la victoire alliée sur le nazisme, il y eut l'Algérie et ces massacres que la France peine à reconnaître ouvertement, même si l'ex-ambassadeur de ce pays en Algérie, Hubert Colin de Verdière, déclarait en 2005 qu'il s'était agi d'une +tragédie inexcusable+".