Il a utilisé la parole telle une arme. C'est Ahmed Fouad Negm, le compagnon de cheikh Imam, dont les chansons et les déclamations des poèmes enflammaient les rues. Des textes interdits dans la plupart des pays arabes et qui se sont transformés en hymnes à la révolte, à la résistance et à la lutte. Rencontré à Alger, il a accepté de nous parler. Ses mots n'ont rien perdu de leur verve. Depuis votre jeune âge vous aviez décidé d'être poète, mais comment vous êtes-vous retrouvé plongé dans la poésie engagée ? C'est grâce à mon professeur Hidjazi El Kerkatil, un grand artiste égyptien engagé. Je suis resté de 1963 à 1967 à l'observer en train d'apprendre et pour voir s'il allait se tromper. Il n'a jamais failli ni dans son travail ni dans sa vie personnelle. C'est lui qui m'avait orienté vers la politique en me donnant à lire des livres du Tunisien Birem. Au départ, je lui ai dit que ces écrits ne m'ont pas plu. En ressortant de chez lui après un déjeuner il m'a de nouveau tendu les livres de Birem en me demandant, en riant, de les relire. C'est en les relisant que j'ai compris alors que la poésie avait d'autres fonctions que celle de la chanson, des cassettes… Vous dites que la poésie vous a préservé, mais c'est aussi la raison de 18 ans d'emprisonnement ? La poésie est mon amie et ma compagne de cellule et de prison, elle ne m'a jamais abandonné. C'est cette poésie engagée qui m'a donné ma dignité. Je peux dire que j'ai survécu grâce à elle lorsque, dans la cellule, sans stylo, car c'était interdit, je me mettais à écrire mes textes dans ma tête et m'escrimais à les apprendre. J'en ai oublié pas mal. Cheikh Imam était non seulement celui qui chantait vos textes, mais aussi votre compagnon de cellule ? La prison est devenue notre univers et je peux vous dire que c'est dans ces périodes là que nous avons produit nos meilleures poésies. C'était mon ami et sa merveilleuse voix qui a porté mes mots. Ils ont tenté de détruire Imam en l'enfermant dès fois dans une cellule isolée, mais il n'a jamais plié, un véritable militant exemplaire, une force. Ecrivez-vous toujours en référence à ce qui se passe dans le monde ? Je viens d'écrire un texte pour les Ghazaouis, ni pour Hamas, ni pour Abbas, mais pour le peuple palestinien et la cause palestinienne. Je suis aussi les conséquences de la crise financière et Marx avait raison, le capitalisme porte en lui ses propres contradictions et il est au pied du mur. Il va s'effondrer et c'est cette peur qui les pousse à agresser des peuples, comme à Ghaza, ou à fomenter des plans pour détruire les gouvernements progressistes en Amérique latine. Croyez-vous encore en la poésie engagée ? Vous savez, tant que l'oppression et l'injustice existent sur cette terre, tant qu'il y a un exploiteur et un exploité, la poésie engagée à de beaux jours devant elle. Elle doit exister jusqu'à ce que la justice soit rétablie. Les gens choisissent plutôt de chanter commercial, vous ne regrettez pas d'avoir choisi la voie la plus difficile, il est évident que ça ne paye pas fort ? Quoi, vous insinuez les avantages financiers ? Je suis bien comme je suis, je mange trois fois par jour, j'ai des vêtements pour m'habiller et je peux m'acheter mes cigarettes. J'ai aussi les moyens de prendre en charge ma fille Zineb, je le dis clairement, je ne veux pas de l'opulence. Moi j'appartiens à la classe des pauvres et je ne peux qu'écrire pour cette frange qui souffre. De mes textes, Guevara est mort demeure, pour ma personne, le poème que je chéri le plus. Le véritable communiste est le dernier à manger et le premier à mourir, et Guevara a prouvé cela. Avez-vous déjà eu l'occasion d'écrire des poèmes d'amour ? Même s'il m'arrive de parler d'amour, le texte n'est jamais vide de sens politique. Ne dit-on pas que l'être humain est un animal politique ? Si vous écrivez vous faite de la politique, quand vous marchez dans la rue vous faite de la politique… J'ai beaucoup de respect pour le grand poète Nizar Kabani. Seulement, j'estime que la femme ne se limite pas à son simple corps. C'est une compagne, une collègue de travail et c'est celle que je rencontre près de moi dans les manifestations. Si je ne parlais d'elle qu'à travers son corps, je considère cela comme une insulte à son intelligence. C'est quoi cette histoire de «Kelb Esit» ? Vous voulez sûrement parler du chien d'Oum Kaltoum. Et bien, un jour, son chien est sorti de la villa et s'est attaqué à un groupe d'étudiants qui passait dans la rue. En véritable chien de classe (rires), il a mordu le plus pauvre d'entre eux. L'étudiant s'est présenté à la police et s'est retrouvé en prison. Ce n'est qu'en acceptant de retirer sa plainte qu'il fut relâché. Cette histoire m'avait beaucoup marqué, et même si j'adorais les chansons d'Oum Kaltoum, ma conscience ne me permettait pas de rester indifférent à cette injustice. Donc j'ai écrit cette chanson sur son chien. Il paraît que Fouad Negm a joué au football ? J'étais un footballeur d'un bon niveau. Bien sûr, je suis un supporter du Ahly. Pourquoi ? Tout simplement car le Ahly s'est créé dans des conditions de résistance contre l'occupation anglaise.