La Pacification, un recueil de documents accablants sur la torture durant la guerre de libération nationale, vient d'être republié en France 53 ans après sa sortie en Suisse et son interdiction dans l'Hexagone par les autorités coloniales. Reparu aux éditions les Petits matins, l'ouvrage réalisé par la Fédération de France du FLN et signé par Hafid Keramane, qui occupait le poste officieux d'ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne à Bonn, relate, sur la foi de documents de concernés ou de leurs avocats, les tortures, les exécutions sommaires, les incendies de villages durant les sept ans de la guerre d'indépendance nationale. Y figurent principalement les témoignages de la combattante Djamila Bouhired, du journaliste et anticolonialiste Henri Alleg, d'Henri Rolin, avocat du syndicaliste Aissat Idir, ainsi qu'une déclaration du Comité Maurice Audin battant en brèche la thèse officielle de "l'évasion" du militant français acquis à la cause nationale, et dans laquelle il est notamment affirmé qu'après avoir été torturé, le corps de Maurice a été "inhumé à la caserne Fort l'Empereur", sur les hauteurs d'Alger. Au titre provocateur, La Pacification dénonce la politique coloniale d'intégration de la population musulmane en usant de viles méthodes dont la torture. "Rien n'est plus vrai pour ce qui est de la +pacification + et de l'intégration des âmes par le napalm et la terre brûlée", lit-on dans l'introduction du Livre noir, consacré aux atrocités françaises en Algérie, dont les enfumades du Dahra, les fours à chaux de 1945, les chambres de torture et les camps de regroupement. Dans sa présentation, le premier éditeur de La Pacification, Nils Anderson, raconte avoir été contacté, peu après la publication de La Question d'Henri Alleg, par Louis Ohrent de Jeunesse Résistance, mouvement d'appelés et de rappelés qui refusaient de se retrouver dans le rôle de l'occupant en Algérie, et Robert Davezies, un des engagés dans les réseaux de soutien au FLN. Le but étant la publication de La Pacification au nom de la Fédération de France du FLN. "Personnellement, sans qu'ils se confondent, lier l'engagement éditorial à l'engagement politique m'a toujours paru naturel, c'est être en accord avec ce qu'on publie", écrit l'ancien représentant de La Cité-éditeur, Maison ayant publié la première fois l'ouvrage le 10 février en 1960, pour expliquer son adhésion, sans coup férir, au projet. Comme tous les livres édités à l'époque par La Cité, La Pacification n'est pas saisi mais interdit de diffusion en France. Pour que les ouvrages soient disponibles aux éditions Maspero où à la librairie La Joie de Lire, qui en assure la diffusion, Nils Anderson se rappelle qu'un petit réseau de destinataires a été constitué et de petits colis leur ont été envoyés pour déjouer les contrôles de la Douane. "Si, le plus souvent, les envois passent les mailles du filet, il arrive que des colis viennent en retour, les couvertures maculées par un tampon portant : Non admis, loi du 29 juillet 1881", indique-t-il, faisant même d'attentats –parfois meurtriers- au livre piégé dont avaient fait l'objet certains destinataires. Pour la Maison d'édition les Petits matins, la republication de La Pacification, en collaboration avec le Collectif Sortir du Colonialisme, ne tient pas seulement au fait qu'il s'agit d'une pièce historique majeure, mais parce qu'il témoigne du rôle capital qu'a pu jouer l'édition durant la guerre de libération nationale. "Un rôle de révélation des faits et de prise de conscience. Un rôle de résistance", admet-on. Aux yeux de Patrick Farbiaz, de l'association Sortir du colonialisme, la réédition de La Pacification se veut être un hommage au militant du FLN, Hafid Keramane, décédé le 13 novembre 2012, et vise également à rappeler que, 60 ans après la fin de la guerre d'Algérie, le rôle de l'Etat et de l'armée française, dans les exactions, la torture en tête, est "toujours passé silence".