Des éditeurs français engagés politiquement contre la guerre d'Algérie ont fait montre d'un courage remarquable pour dénoncer les dérives de cette guerre, faites de tortures et d'exécutions sommaires contre les combattants du Front de libération nationale (FLN), a indiqué vendredi soir à Paris, le chercheur en histoire, Julien Hage. Ce chercheur de l'Université de Bourgogne (France), a retracé le rôle de l'imprimé politique durant la guerre d'Algérie et le rôle des principales maisons d'édition françaises engagées contre cette guerre. Les réflexions qui ont été présentées par ce chercheur sont le fruit d'un travail collectif, engagé dans le cadre du cinquantenaire de la fin de la guerre d'Algérie et mené avec l'historienne, Anne Simonin, auteur de l'ouvrage "Le droit à la désobéissance" et l'éditeur, Nils Andersson, comme il a tenu à l'expliquer. Lors de cette rencontre-débat, intitulée "La plume dans la plaie", Julien Hage a présenté un panorama de toutes les tribunes, voix et textes qui ont pu sortir de terre dans l'opposition à cette guerre. Il décrivit alors le régime de censure, "extrêmement dure", qui frappait du sceau du silence la presse et les revues qui osaient dévoiler, sans fard, la férocité du système oppressif colonial, dénonçant le recours généralisé à la torture et l'avènement d'un Etat d'exception. Ce chercheur a ainsi révélé qu'une poignée d'éditeurs, dans la foulée des éditions de Minuit de Jérôme Lindon se sont efforcés de constituer un front éditorial résolu à dénoncer cette guerre menée contre la volonté d'indépendance d'un peuple. Julien Hage a cité Les éditions de La Cité-Editeur Lausanne (Genève), dirigée par Nils Anderson, qui publia plusieurs ouvrages censurés lors de la guerre d'Algérie, et dont les livres furent interdits d'importation en France, les éditions François Maspero, La petite bibliothèque républicaine de François Monod, les Editeurs français réunis, et les Editions de Minuit, qui ont publié 23 ouvrages principalement centrés sur la dénonciation de la torture, et établissant la désertion comme "un état de nécessité". Il a également évoqué les éditions Feltrinelli à Milan (Italie) les éditions du Seuil et qui toutes, ont relayé les efforts des comités d'intellectuels, des groupes d'insoumis et déserteurs, en relation avec les "Porteurs de valises" le réseau de soutien au FLN, dirigé par Francis Jeanson. Ces éditeurs ont fait écho aux quelques périodiques, telle que les revue Esprit, Les Temps modernes, L'Express, lancé alors par Jean Jacques Servan Schreiber, France Observateur, l'ancêtre du "Nouvel observateur", les Cahiers de Témoignage Chrétien et la revue "Partisan" de François Maspero, qui ont ouvert leurs colonnes, au risque d'être interdits, pour faire éclater la vérité sur les horreurs de la guerre d'Algérie, a expliqué ce chercheur. Aucun parti politique ni aucun syndicat ne voulait assumer le bien fondé du combat du FLN. "Il y a eu un véritable prêche qui va s'ouvrir dans le champ politique et intellectuel français, puisqu'aucun parti politique ni aucun syndicat ne va assumer le bien fondé du combat du FLN", a soutenu Julien Hage, affirmant que c'est dans cette optique que vont se créer de nouvelles tribunes médiatiques d'intervention politique et intellectuelles "engagées dans une véritable bataille de l'écrit". "De grandes figures et des textes retentissants se sont dégagés ainsi dans ce combat tel qu'Henri Alleg dans +La question+, interdit en France et réédité par Nils Andersson en Suisse, ou Frantz Fanon et "Les Damnés de la terre", où dans une France en crise profonde, une alternative politique et morale à la poursuite de la guerre s'est manifestée dans le combat pour la reconnaissance du droit à l'insoumission", a souligné ce chercheur. Sur l'engagement des Temps modernes contre la guerre d'Algérie, il dira que cette revue qui, déjà en mai 1955, fait paraître un numéro spécial sur le conflit, publie dans sa livraison de novembre de la même année, un article intitulé "L'Algérie n'est pas la France" . "Le ton est donné. Les Temps modernes seront saisis tout au long de la guerre : quatre fois en Algérie, une fois en France", a-t-il dit. Il rappelle alors qu'au fil de la guerre, cette censure "de plus en plus contraignante et sélective", "va frapper" les tribunes les plus militantes pour les réduire au silence telle que la saisie du livre "Le sang de Bandoeng", publiée en 1957 aux éditions "Présence africaine" par la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France, et rédigé en partie par l'avocat Jacques Vergés. "Cette censure a eu un caractère extrêmement dissuasif sur des maisons d'éditions indépendantes, aussi fragiles économiquement que "Présence africaine", a affirmé ce chercheur. Ce chercheur relève aussi que dans leur volonté de briser le silence, les éditeurs engagés contre la guerre d'Algérie vont essayer de politiser la société française, dénoncer la guerre et l'Etat d'exception en métropole et revendiquer le droit des Algériens à l'indépendance. Julien Hage est revenu également dans ce contexte sur l'émergence d'"une politique citoyenne" autour de la question du droit à la désobéissance des militaires et des appelés "confrontés au choix de conscience et à l'exercice généralisé de la torture par l'armée française". Les éditeurs engagés contre la guerre d'Algérie, ainsi, vont faire de "ce choix moral et individuel" des appelés du contingent "une question politique collective qui est soulevée devant l'Etat et la société française pour renforcer le combat qu'ils menaient contre cette guerre", a observé Julien Hage.