Qui aurait cru qu'un jour les chasseurs algériens reprendraient le chemin des forêts ? Après plus d'une décennie sanglante, où nos forêts étaient des sanctuaires de la mort, des chasseurs de tous âges ont repris la traque du gros gibier, le sanglier, dont la prolifération pose de sérieux problèmes aux agriculteurs. Vendredi. El Kerma (ex-Figuier), charmant village à flanc de montagne, à quelques kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Boumerdès. Le soleil est au rendez-vous. Un groupe de chasseurs, venus des quatre coins de la Kabylie, va sur les traces du sanglier. La vue est imprenable. On aperçoit, à travers les forêts de cèdres et de pins, la plage éponyme, l'ex-Rocher noir et… les campements militaires faits de tentes et de cabanes. N'eut été le terrorisme, il aurait fait bon vivre dans ce village de montagne où l'agriculture est la seule et unique source de revenu pour les familles qui y habitent. «Je suis chasseur depuis mon plus jeune âge, et je ne suis pas près d'arrêter malgré mon âge. C'est une passion», clame âmi Moh Ourabah. D'ailleurs, la veille déjà, accompagné de ses deux chiens de chasse de race, des griffons, il est allé à la reconnaissance des lieux afin d'établir un plan de chasse. Ami Saïd, ancien militaire à la retraite et chasseur invétéré qui cède à la tentation à la moindre occasion, a remis son fusil à l'épaule à l'occasion. En tenue militaire, armé jusqu'aux dents, ce patriote ayant traqué les terroristes dans leurs derniers retranchements confie : «Je chasse le sanglier à quatre pattes, mais aussi celui qui n'en a que deux.» Reçu cinq sur cinq. Un gibier difficile à débusquer Les chasseurs sont réunis autour du président de l'association pour départager les tâches, expliquer le plan à suivre et les consignes à respecter. Amis Saïd est intraitable sur la sécurité : «Ne chargez pas vos fusils avant de rejoindre vos postes, cassez-les en marchant et ne tirez pas avant de vous assurer de la cible.» 10h35 : chacun des chasseurs prend sa place au lieu indiqué. Formant deux lignes parallèles aux abords du carré choisi, une file de chasseurs devant et une autre derrière en attendant le passage du sanglier. Les rabatteurs accompagnés d'une meute de chiens de chasse entament leur déplacement à l'intérieur de la forêt afin de «réveiller» les sangliers. Un quart d'heure après à peine, les premiers coups de feu transpercent le silence. Un, deux et trois. Trois gros sangliers tombent. «Des solitaires», crie âmi Saïd qui a réussi la première prise. Des rabatteurs effrayés crient à l'aide. Un animal est blessé. Et quand le sanglier est dans cet état, il devient en effet très dangereux. Nous prenons notre courage à deux mains et suivons âmi Saïd à l'intérieur de la forêt, parti à sa poursuite. La tâche n'est nullement facile vu la densité de la végétation et la nature accidentée du terrain. La pluie qui tombe furieusement ne facilite guère l'exercice. Arrivé au bord d'un ravin, le tableau qui s'étale devant nos yeux est un véritable ravissement. Quel contraste avec le drame qui se noue ! Des chiens tirent sur le sanglier avec leurs petites mâchoires. Affolé, ce dernier déploie toute son énergie dans une vaine tentative de fuir. Ami Saïd décide de mettre fin au supplice de l'animal. Il tire une balle à bout portant, achevant le sanglier en furie. Une seule balle a suffi. Odeur de poudre C'est la mi-journée. L'heure de se restaurer et de reprendre des forces. Un déjeuner en pleine forêt, quel pied ! Des œufs durs, quelques conserves et des olives suffisent à donner du bonheur. Entourés de chiens, les chasseurs et les rabatteurs baignent dans une ambiance très conviviale. Après le «repos du guerrier», une deuxième battue commence. Une bruine légère fouette les visages. Le vent du nord-est souffle sur la montagne, charriant l'odeur des sangliers qui chatouille les narines des chasseurs, à l'affût de tout mouvement d'un éventuel gibier. Les rabatteurs traversent la forêt en criant et sifflant. Les chiens ratissent les lieux avec leurs truffes. Soudain, un troupeau de sangliers déclenche une course effrénée. Des coups de feu partent du flanc gauche de la montagne. Une laie traînant ses petits tombe. Les balles de âmi Achour, un chasseur de plus de 70 ans, font leur œuvre. «Je suis très content. A mon âge, je vise encore bien. ça me rappelle mes 20 ans», s'exclame-t-il sur le ton du triomphe, heureux de son exploit. Le jeune Mohamed à son tour, du haut de l'arbre où il est posté, atteint un animal. L'odeur du baroud se répand dans toute la forêt. Des cris de joie s'élèvent dans le ciel. 17h. Ami Moh fait sa comptabilité : 15 sangliers «dans la besace». La chasse a été bonne. Très bonne. Ami Saïd est déjà sur le lieu de rassemblement pour fêter et savourer le moment. Rendez-vous est pris pour une autre partie de chasse le week-end prochain. De nouvelles sensations en perspective. C'est promis.