La police et la gendarmerie espagnoles ont mené conjointement, vendredi à l´aube, dans le préside de Ceuta, une opération qui a conduit à l´arrestation de 8 présumés jeunes Marocains soupçonnés d´appartenir à un vaste réseau de soutien à Al Qaïda. Selon le communiqué publié hier par le ministère espagnol de l'Intérieur, ce groupe est spécialisé dans le recrutement de volontaires pour la Syrie dans cette enclave espagnole de 80 000 habitants dont 45 000 sont des musulmans. Le gros de l'opération s'est déroulé dans une localité située près de la mosquée Las Caracolas. Dans les domiciles familiaux de ces 8 personnes, les services de sécurité n'avaient pas trouvé grand-chose. Elles ont mis la main sur quelques armes de poing, des munitions. La preuve solide qu'elles détiennent ce sont des films vidéo appelant au djihad. «Nous avons accumulé des preuves très solides sur leurs activités djihadistes», a affirmé un des enquêteurs au moment de leur mise à disposition à l'Audience nationale, la plus importante juridiction pénale espagnole spécialisée dans les affaires de terrorisme. Des mineurs parmi les recrues L'objectif des recruteurs est de repérer les hommes valides puis de les approcher et les sensibiliser pour aller combattre le régime de Bachar Al Assad dans les rangs des salafistes venus de divers pays musulmans. Ce réseau de soutien, affilié à Al Qaïda, aurait déjà envoyé des dizaines de djihadistes en Syrie, parmi lesquels un grand nombre de mineurs socialement démunis et intellectuellement endoctrinés. Certains d'entre eux auraient été préparés aux attentats suicides, selon le ministère espagnol de l'Intérieur. Les services secrets espagnols (CNI) avancent un chiffre plus précis. Au moins 3 jeunes parmi les dizaines de volontaires envoyés au front syrien auraient trouvé la mort au cours des opérations suicides contre l'armée de Bachar Al Assad. La quasi-totalité de ces Marocains de nationalité espagnole peuvent circuler librement entre leur pays d'origine et l'espace Schengen et à l'étranger. Beaucoup d'entre eux n'ont donné depuis longtemps aucun signe de vie à leurs familles lesquelles n'ont d'ailleurs pas toutes signalé leur disparition aux autorités espagnoles. C'est pourquoi, assure-t-on dans les milieux des enquêteurs, le nombre des djihadistes potentiels serait plus important que celui des jeunes figurant sur la liste des disparus. La plupart seraient déjà prêts pour la Syrie, sinon déjà sur le front ou décédés lors des combats contre l'armée syrienne. Départs depuis Malaga et Casablanca vers la Turquie Les départs se font depuis deux points. Le territoire espagnol (préside de Ceuta) et depuis le Maroc. L'itinéraire conduisant jusqu'au front syrien passe par Malaga, puis la France ou les Pays-Bas où réside une très importante communauté marocaine, et enfin la Turquie, dernière escale vers la Syrie, où se trouvent les bases de la rébellion anti-Assad. Les Marocains, eux, empruntent un itinéraire à peu près identique depuis Casablanca. L'interrogatoire des prévenus vient de débuter. A ce stade, il est impossible pour les enquêteurs d'avancer un chiffre concernant les nombreux volontaires qui se trouveraient en attente de départ pour le front syrien. Ces djihadistes attendraient l'ordre de départ qui leur serait signifié par les membres du réseau qui vient d'être démantelé. L'opération de vendredi aurait été planifiée depuis longtemps. Les services de renseignements espagnols épiaient les membres de ce réseau depuis plus de deux ans, c'est-à-dire dès l'éclatement du conflit armé syrien en 2011. Les agents du CNI avaient la certitude qu'Al Qaïda allait entreprendre des prospections de recrues pour le djihad en Syrie comme cette organisation terroriste l'avait déjà fait pour l'Irak dans cette même ville où le salafisme radical se consolide d'année en année depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington et du 11 mars 2004 à Madrid. C'est d'ailleurs à Ceuta qu'est né un mouvement réclamant la libération des deux «villes occupées» par l'Espagne (Ceuta et Melilla) et la «récupération par le futur khalifa de l'Andalousie musulmane spoliée en 1692 par les Croisés». L'armement de la rébellion en question Si l'arrestation de ce réseau a donné de réels motifs de satisfaction au ministre de l'Intérieur, Jorge Fernandez Díaz qui, hier au cours d'une conférence de presse a parlé de «coup dur» au djihadisme, cette affaire risque de compliquer la question de l'armement de la rébellion, sujet à l'ordre du jour aux Etats-Unis et en Europe. Le 21 mai à Madrid, la réunion du Conseil de consultation nationale de l'opposition syrienne (CNFORS) organisée à l'initiative de l'Espagne pour unifier les rangs de la rébellion, en vue de permettre son armement, a tourné au fiasco. Les 80 représentants de tous les courants d'opposition de l'intérieur et de l'extérieur du pays ont terminé dans la division une rencontre à laquelle le gouvernement espagnol n'avait pourtant pas invité le mouvement djihadiste Djabhate Ennasr pour ses supposés liens avec Al Qaïda. A la fin de l'année 2012, la plupart des pays européens avaient reconnu la coalition anti-Assad comme le légitime représentant du peuple syrien. Toutefois, tous les pays alliés n'avaient pas, comme l'Espagne, pris leurs distances par rapport à l'idée d'armer la rébellion syrienne, au sein de laquelle la présence de djihadistes est très agissante sur le terrain. Les pays de l'Union européenne avaient juste accepté, le mois dernier, dans une totale «cacophonie» et divergences, la possibilité d'une levée partielle de l'embargo sur les armes pour «permettre à la rébellion de disposer du matériel militaire, soi-disant pour la défense de la population civile». Certains observateurs avertis ont attiré l'attention de l'Europe et des Etats-Unis sur les dangers d'une telle initiative. Ils savent ce qu'il en a coûté à la Libye et au Sahel où les djihadistes font la loi. Avec les armes de Nicolas Sarkozy.