La semaine dernière, une chaîne de télévision marocaine, M2 pour ne pas la citer, a diffusé et rediffusé le lendemain une émission sur Zoudj Bghal, la frontière algéro-marocaine, fermée, comme tout le monde le sait, en 1994. Et on en connaît les raisons. Il n'est pas utile toutefois d'en dire un mot, du moment que la télévision en question semble ne plus se rappeler les raisons qui ont forcé le gouvernement algérien de l'époque à prendre une telle initiative, évacuant donc, à dessein, des faits d'une extrême gravité. Dans un hôtel de Marrakech, deux touristes espagnols sont assassinés par un groupe de Français musulman dont Stéphane Aït Idir. Il n'en fallait pas plus au régime marocain pour enfoncer le clou. Rabat montre du doigt la Sécurité militaire algérienne, une piste empruntée de manière un peu hasardeuse quelque temps auparavant par les médias français, avec la série d'attentats à Paris. C'est la chasse aux Algériens, et feu Hassan II instaure le visa, histoire d'aggraver la mise en quarantaine de l'Algérie, alors à feu et à sang. Son image s'est assombrie, «Calomniez il en restera toujours quelque chose», disait Goebbels. L'Algérie avait bon dos alors. Le gouvernement marocain a dû se rendre à l'évidence que les services algériens n'y étaient pour rien à Marrakech, comme ils n'étaient concernés ni de près ni de loin par les attentas de Paris. Les excuses officielles, l'Algérie les attend toujours depuis bientôt 20 ans. Nous pouvons toujours attendre. Sur le plateau de cette TV aux ordres, le Premier ministre marocain, Fassi Fihri, est relayé par la crème de la société civile marocaine et des «sondages» d'opinion à chaud plaident pour la réouverture de la frontière «entre les deux pays frères». Il y a toujours un Algérien ou deux sur le plateau pour abonder dans le même sens. Le Premier ministre marocain mise sur le futur candidat élu, en avril, pour ouvrir la frontière et la voie à l'unité maghrébine. «Les Algériens y trouveront leur compte, c'est un pays où il y a des choses à voir qui pourraient intéresser les touristes marocains.» Le 16 décembre 2008, à Madrid, ce même dirigeant, au cours d'une conférence de presse conjointe avec le président espagnol José Luis Zapatero ne s'était pas gêné pour cibler avec virulence et maladresse diplomatique l'Algérie, «les militaires qui séquestrent nos frères Marocains à Tindouf», pour n'avoir rien eu comme réponse à donner sur la vague de répression au Sahara occidental. Bien entendu, notre ambassade à Madrid n'a pas laissé passer un tel affront par une mise au point, autrement plus responsable. Pourquoi donc cet intérêt pour le touriste algérien au Maroc. Il faut se rappeler encore que l'Algérie qui n'a jamais été la première à imposer la réciprocité du visa à un pays, à plus forte raison arabe et frère — Rabat nous l'a imposé deux fois — «Ce sont 3 ou 4 milliards d'euros», a répondu le président Bouteflika. Une belle affaire donc pour le secteur moteur de l'économie marocaine que représente le tourisme. De l'essence à gogo bon marché pour les dépôts particuliers d'Oujda. Et en retour que gagnera le trabendo de Maghnia : «Qach Bakhta oua fnajel Meriem», comme dirait le président Bouteflika. Repartir vers Ceuta et Mellila Le plus drôle, c'est que cette question de Zoudj Bghal est devenue un axe majeur de la politique étrangère marocaine. Les relais ne manquent pas en Espagne. L'actuel chef de la diplomatie espagnol, Miguel Angel Moratinos, en est le plus sûr. C'est lui qui a enterré le plan Baker, inspiré le plan d'autonomie marocain, donc encouragé Rabat à camper sur ses positions au Sahara occidental et plaidé avec zèle l'octroi du statut avancé pour le Maroc avec l'Union européenne, ce qui dans ce dernier cas serait une excellente chose si elle ne cachait quelque secret de Polichinelle. Regarder vers Ceuta et Melilla. La délégation du gouvernement de Melilla fait elle aussi des gorges chaudes : il semble que les produits de l'enclave espagnole qui transitent par «souk Melilla» à Oujda attendent au poste frontalier Zoudj Bghal. En plus, les Chinois sont là. Trafic d'armes et de haschich Si la question de la réouverture de la frontière terrestre algéro-marocaine relevait, comme on le laisse entendre à Rabat, que du principe du bon voisinage, de la fraternité à laquelle les Algériens sont les plus attachés, d'une coopération économique saine, les choses auraient été beaucoup plus simples. Ne peut-on franchement pas faire au Maghreb comme les Européens, mettre les divergences à part et avancer vers l'unité de la région ? L'Algérie est «à la une» dans la presse marocaine et dans les discours officiels de ce pays frère tous les jours que Dieu fait et chaque fois que le dossier Sahara occidental est ouvert en vue d'une solution. La réouverture de Zoudj Bghal aura lieu, tout le monde le sait et le président Bouteflika lui-même l'a assuré. Il faut, cependant, que tout soit net pour aller vers un avenir commun et ne plus retomber dans la tentation des visas lorsque ça nous arrange. La coopération est globale ou ne l'est pas. Les principes, c'est très bien, mais dans cette affaire de frontière terrestre «la seule au monde à être encore fermée», comme diraient les relais du Maroc en Espagne, tout le monde y trouve son compte à l'état actuel des choses : pas l'Algérie. Une histoire de sous. Certainement. Mais il y a plus grave: le trafic de haschich. De pays de transit, on est devenu pays consommateur. Trafic d'armes, les indices et les preuves existent ; trafic d'organes des enfants algériens disparus, écoulés dans une clinique d'Oujda. C'est la presse occidentale elle-même qui le dit. Pour le moment, seule l'Algérie n'a aucun profit dans tout cela. Pas pour une question de sous, naturellement.