Pour des milliers de Saliha, «r'hina» n'est qu'une facilité de caisse, obtenue en une journée. Ruisseau, il est 8h 30. Dans ce vieux quartier, se trouve l'agence BDL connue par son ancienne appellation de «Dar r'hina». Elle est l'une des deux agences BDL spécialisées dans le prêt sur gages. Au départ, c'étaient les fameuses caisses municipales de crédit. A l'indépendance, ces caisses furent rattachées aux mairies de la République algérienne. En 1985, avec la restructuration du CPA et la création de la BDL, elles passent sous la coupe de cet établissement devenu, du temps de la spécialisation sectorielle des institutions financières, la Banque de développement local. Au départ, l'hypothèque se faisait aussi bien sur l'or, l'argent, le bronze que sur les effets vestimentaires. Aujourd'hui, et avec le temps, il ne se fait qu'avec le métal précieux. Comme chaque jour et spécialement en ce début de «semaine bancaire» (dimanche), la foule est compacte et la queue a pris forme dès le levée du jour, selon les dires des «premiers de la chaîne». Quelques minutes après, le portail s'ouvre et un agent de la sécurité supervise la procession de la grappe humaine vers la vaste salle d'accueil. Contrairement aux apparences, l'accueil intra-muros est chaleureux. Ni bousculades ni brouhaha. Aux regards complices et aux politesses que s'échange la plupart des clients entre eux et avec des employés, on sent que les habitués des lieux sont en «force». Saliha, appelons-la ainsi, la trentaine, lunette d'intello et silhouette soignée, est la dernière de cette «chaîne matinale». Elle devine notre identité dès qu'on s'approche d'elle. C'est elle qui guide nos premiers pas dans ces lieux. «Aujourd'hui, l'affluence est beaucoup plus importante que d'habitude: c'est le premier jour de semaine, on est à la veille de l'Aïd El-Kebir», nous explique-t-elle dans la langue de Molière. Une fois l'effet de surprise passé, on lui demande ce qu'elle fait dans la vie. «Femme au foyer», nous répond-elle et en arabe dialectal, comme pour cacher sa véritable identité. Lors de notre passage à Diar r'hina, on a pu constater que même si les gens se connaissaient, ils évitaient de s'appeler par leurs noms. C'est comme si un code d'honneur tacite, garantissant l'anonymat, régissait les relations des uns et des autres. Après plusieurs tentatives et les assurances de garder l'anonymat, notre compagne de fortune devient plus «coopérative». Elle nous explique qu'elle est ingénieur agronome au chômage, mariée à un jeune entrepreneur. Elle n'est pas à sa première visite des lieux. Elle prête sur gages les bijoux de la famille chaque fois que son époux est en manque de liquidités. L'argent prêté servira, certes, aux dépenses du foyer, mais aussi à faire face aux besoins financiers de la petite entreprise familiale de travaux publics. C'est le seul système de crédit qui outrepasse et le clientélisme et les lenteurs bureaucratiques. Mobiliser les hypothèques, formuler la demande et partir avec la coquette ne prennent pas plus d'une journée, alors que pour une procédure de facilités de caisse, cela prend des mois, nécessite la présentation d'une pile de documents et, bien sûr, quelques recommandations.