Un mensonge généralisé peut prendre les formes de la vérité. Les médias sont, en principe, un des piliers de la vie quotidienne dans une démocratie. Mais ils ne le sont pas. Pire, les plus grotesques opérations de manipulation, de désinformation et de mensonge organisé sont le fait des démocraties occidentales. Voilà ce que les récentes révélations du New York Times ont révélé. Selon ce journal, et bien avant que ne commencent les attaques sur Bagdad, Washington envisageait une stratégie délibérée de désinformation, notamment auprès des médias étrangers, dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Cette révélation avait provoqué un tollé, avant qu'elle ne soit occultée par la guerre «proprement» dite. Le même titre avait parlé, quelques jours auparavant, d'un service qui avait été créé dans la tourmente de l'après-11 septembre, le bureau de l'influence stratégique (OSI). Ce service avait, dès son installation, proposé une vaste campagne médiatique qui pourrait inclure «l'envoi de fausses informations à destination de pays hostiles, mais également de pays alliés, dans le cadre d'une nouvelle stratégie de communication liée à la guerre contre le terrorisme». En fait, la guerre même contre l'Irak fait partie de ce plan. Le document mis sur le devant de la scène par Washington et Londres, et qui fait référence à un armement interdit qui serait la possession de Bagdad, est, en fait, une synthèse élaborée par un étudiant irakien il y a de cela...douze ans. Qu'est-ce qui pourrait justifier le recours au mensonge? Beaucoup de choses, mais surtout la faillite du renseignement local et les échecs sur le terrain. Les attentats du 11 septembre ont consacré la faillite du renseignement américain face à une vingtaine de kamikazes turbulents et effervescents. Ce sont, bien sûr, les médias qui se sont chargés de pointer un doigt accusateur sur Kaboul, Bagdad, Damas, Khartoum, Islamabad et Téhéran. L'intelligentsia locale, investie dans les médias, s'est mise à quatre pattes, dès lors, pour justifier l'hégémonisme des autorités américaines. Ce mariage incestueux a mis sous les feux de la rampe la tête pensante de la manipulation des médias: les spin docteurs, les docteurs des «effets». En fait, les maîtres de l'esbroufe, du mensonge et de la désinformation au service de la politique. Après avoir été à l'honneur à l'om- bre de Clinton, ces manipulateurs de l'opinion ne font plus florès et seront destinés à s'éclipser du monde des médias, ou pour le moins, de celui de la presse écrite, bien qu'en politique, ils continuent à faire banco. Ce sont peut-être eux qui ont conseillé à la chanteuse Madonna de renoncer à faire sortir son dernier clip American Life, jugé trop antiguerre par les gourous de la télévision. Cet album, qui devait sortir le 22 avril, n'aura pas la cote tant que les manipulations ont encore le dessus. Voilà, donc, un bel exemple où la «démocratie» s'acoquine avec le «journaliste» pour orienter l'opinion et gérer le sentiment général selon les lignes tracées par la politique intérieure du pays. Mais attention, nous sommes encore en pleine guerre et la manipulation de l'opinion bat son plein. Depuis la première guerre du Golfe, les médias du Nouveau monde ont subi une transformation monstrueuse, à laquelle n'échappent, hélas, que quelques très rares titres. Avant de partir en Irak, les responsables de la Maison-Blanche, avaient organisé un point de presse aux journalistes-reporters qui étaient désignés pour couvrir, sur le terrain, les minutes de la guerre, et ont eu cette déclaration très significative: «Votre intérêt et celui de votre famille seront de bien écouter ce que les militaires vous diront.» Est-ce un conseil? Une menace? Mystère... Comme en 1991, c'est The Rendon Group (TRG) qui orchestre la manipulation, et vous invite, à travers CNN et Fox News, à voir les troupes américaines accueillies à Bassora et à Bagdad par un peuple usé par le despote Saddam. Le recours aux spin est, en fait, une faillite politique qui s'est répercutée sur le monde des médias. Le plan de manipulation a commencé en 1991 avec la première guerre du Golfe. A cette époque, l'URSS avait disparu et les Etats-Unis commençaient à étendre leur hyperhégémonisme sur le monde, sans trouver de rival sérieux, et tout en faisant semblant d'agir dans le cadre des Nations unies. Les événements du 11 septembre ont donné une légitimité à cette action, et l'on a vu pas moins de 200.000 agents du FBI et de la CIA se disperser dans le monde, phagocyter les Etats et exiger que toutes les informations stratégiques et sécuritaires leur soient remises entre les mains. L'argumentaire était aussi simple qu'efficace et les images des Twin Towers faisaient le tour des télévisions jusqu'à asphyxier le téléspectateur pour arracher le droit d'agir, partout, au nom des «immuables vérités», pour la sécurité intérieure américaine et la stabilité du monde. La présente guerre contre l'Irak consacre ce droit d'action arraché envers et contre l'ONU, le Conseil de sécurité et les Etats de la planète. Derrière la sale guerre, le sale boulot est fait par une intelligentsia en faillite qui s'échine et s'échinera encore à justifier toutes les dérives politiques.