Les coalisés, d'un côté, les partisans de la paix, de l'autre, s'accordent, au moins, sur un point : celui du rôle futur de l'Organisation. Lors de leur tête-à-tête, mardi dernier, à Belfast, en Irlande du Nord, le président américain, George W.Bush et le Premier ministre britannique, Tony Blair, avaient affirmé que le rôle de l'ONU dans l'après-guerre sera «vital». Comme en écho, les partisans de la paix que sont les présidents français et russe, Jacques Chirac et Vladimir Poutine, et le chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui se sont réunis, vendredi à Saint-Pétersbourg, ont, à leur tour, réitéré le rôle «central», à leur sens, des Nations unies dans la reconstruction et dans l'après-guerre en Irak. En réalité, le signifiant des mots exprimés, par les uns et les autres, est le même, reste maintenant à savoir le contenu politique réel que véhiculent ces qualificatifs «vital» et «central» exprimés à l'endroit de l'organisme international. De fait, si Américains et Européens estiment aujourd'hui nécessaire de réhabiliter les Nations unies, en tant qu'organisme de gestion des crises qui traversent le monde, il reste que les uns et les autres ne l'envisagent pas de la même manière et, en tout état de cause, ne voient pas de façon unanime les futures prérogatives qui seront celles de l'organisme new-yorkais. Il semble bien qu'il y ait un malentendu, quant aux intentions de Washington pour la suite des événements en Irak. Intentions qui, au demeurant, n'ont jamais été cachées, les responsables américains, au plus haut niveau, prenant même soin de bien préciser les desseins futurs qu'ils comptent mettre en pratique après la guerre. Dès lors, le rôle prévu par Washington pour l'ONU s'en trouve ainsi relativisé. Dans l'esprit des stratèges américains, qui ont décidé du déclenchement de la guerre et du changement du régime irakien, l'utilité de l'ONU réside uniquement dans le fait de l'expérience des organismes onusiens qui sera profitable dans la gestion des drames humanitaires. Et l'aspect humanitaire de l'après-guerre en Irak ne semble pas constituer l'essentiel de l'intérêt des stratèges américains. En revanche, ceux-ci estiment que la reconstruction de l'Irak revient à ceux qui ont pris la peine de se battre pour déboulonner Saddam Hussein et son régime. Cela, d'autant plus que des parts juteuses sont, d'ores et déjà, attribuées à des entreprises et compagnies américaines. Celui qui passait pour une «colombe» dans le nid de faucons entourant le président américain George W.Bush, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, n'est pas en reste, affirmant, dans maints de ses propos, que la reconstruction de l'Irak revenait «à ceux qui se sont battus». C'est encore le chef de la diplomatie américaine qui avait annoncé la «reconfiguration» géostratégique de la région du Moyen-Orient. C'est dire que les Etats-Unis ne se sont pas investis dans ces efforts de «réaménagement» du Golfe, pour offrir aux Nations unies le fruit de leur «victoire» et ce qu'ils considèrent comme leur dû en tant que hyperpuissance mondiale. Maintenant, pour ce qu'il en est du rôle «vital» de l'ONU, il faut bien convenir que ce n'est là qu'un euphémisme pratique qui permet de laisser les choses en l'état et à Washington de jouer en souplesse dans une région, qui est loin d'être conquise. Cela d'autant plus que l'on sait la manière avec laquelle l'ONU a été évincée du dossier du Proche-Orient, pris totalement en charge par les Etats-Unis, aidés par l'un des belligérants, Israël, fait unique, faut-il le souligner, dans les annales de la diplomatie et du droit international, lorsque l'un des antagonistes se trouve également juge et partie. Ce qui est le cas d'Israël avec la bénédiction et la protection des Américains. Donc, dans l'esprit des Etats-Unis, le retour de l'ONU, aussi vital soit-il, doit se limiter à la gestion de la chose humanitaire, le dispatching et suivi de l'aide internationale à l'Irak. Ce qui va à l'encontre de la vision, que semblent professer les Français, les Russes, les Allemands - sans doute aussi les Britanniques-, qui estiment communément essentiel, le retour à l'orthodoxie diplomatique avec la dotation de l'ONU, de vraies prérogatives à même de lui permettre d'assumer ce rôle «central» qu'ils prévoient pour l'organisme international. Vision qui, à n'en pas douter, contrarie les intentions des Etats-Unis qui ambitionnent de gouverner le monde. Et cette ambition impériale peut, selon eux, être servie par une ONU domestiquée, nécessaire lien entre les nouveaux maîtres et la cohorte de peuples qui n'auront d'autre choix que de s'incliner devant la force. Dès lors, il est patent que Washington ne veut pas s'encombrer d'un contre-pouvoir en la personne d'une ONU forte, revigorée, au service de la communauté internationale. Aussi, parler de refondation des Nations unies, comme l'a fait le président russe, Vladimir Poutine, c'est sans doute aller à contresens de la reconfiguration géostratégique mondiale que la guerre, imposée par les Etats-Unis, contre l'Irak commence à se dessiner. Car, à travers cette reconfiguration, c'est l'ordre mondial actuel qui est menacé.