L´Eglise chrétienne, pour marquer plus profondément et pénétrer mieux les esprits des païens récemment convertis, avait confectionné un calendrier. (Les paysans de ce temps-là n´avaient pas besoin de connaître la date pour vaquer à leurs occupations quotidiennes). Donc l´Eglise avait disposé pour chaque jour que Dieu fait le nom d´un saint homme. Cette liste de noms devait non seulement servir d´exemple de vie à mener pour un bon chrétien mais devait aussi servir de catalogue de noms à donner aux nouveau-nés et de repères dans l´écoulement de l´année. Les chrétiens, selon leur prénom, devaient marquer le jour de leur patron par des actes de piété ou de réjouissances. Les régimes modernes ont institué d´autres repères, soit pour briser la monotonie des jours, soit pour mobiliser les sujets autour d´une idée abstraite, soit pour attirer l´attention du peuple sur un sujet bien précis. La première journée qu´on fête est, bien entendu, la fête nationale qui sert à commémorer une date importante dans l´édification de la nation. D´autres journées sont consacrées à la célébration de victoires, d´armistices ou de traités importants. Notre jeune nation, longtemps dirigée par un régime de parti unique empreint de corruption et de démagogie, a multiplié les journées «nationales». Evidemment, nous ne parlerons pas du 5-Juillet qui sert plus à marquer la prise d´Alger que l´accès à l´indépendance qui devint effectif le 3 juillet, ni du 1er-novembre qui est la date la plus importante, parce qu´elle marque le déclenchement de la révolution et la naissance du FLN (son extrait de naissance étant la déclaration délivrée d´Ighil Imoula). On ne parlera pas non plus du 20 Août, la journée du moudjahid qui marque l´insurrection de Skikda et le congrès de la Soummam dont le principal artisan, Abane Ramdane, fut assassiné par ceux qui avaient d´autres projets pour la société algérienne. Les 10 et 11 décembre marquent les manifestations spontanées du peuple d´Alger. D´autres journées servent à marquer des événements moins glorieux comme le 19 juin qui résonne dans la tête des plus de cinquante ans comme un coup d´Etat contre l´espoir ou comme le triomphe de la force contre la raison. On a appelé cela «redressement» révolutionnaire. Le «redressement» sera utilisé plus tard par les mêmes putschistes. Heureusement qu´il y a d´autres jours qui suscitent moins de polémiques et de rancoeurs dans le coeur des Algériens. La journée des hydrocarbures, pour que les rentiers puissent fumer à l´aise leur cigare en attendant la journée de lutte contre le tabac. Il y a la journée de l´étudiant, la fête de la jeunesse, la journée de l´arbre, celle des handicapés, la journée du pompier, la journée du chahid, le printemps berbère pour marquer l´éclosion d´une fleur longtemps mise sous le boisseau. Mais il y a une date dont les gouvernants se sont défiés jusqu´à présent : c´est le 19 mars, date-anniversaire du cessez-le-feu. Cette date a été choisie par les harkis de France pour être la journée du harki, du goumier... Moi je propose que le 19 mars soit la journée des planqués. La journée de ceux qui étaient bien à l´abri dans leurs pantoufles, au service de l´administration coloniale et qui, le 19 au matin, bien informés qu´ils sont, ont changé leur stylo de main. Le 19 mars doit être consacré aussi à ceux qui étaient à l´étranger durant les années de braise, qui suivaient les cours du soir dans les médersas marocaines, tunisiennes, européennes ou américaines et qui, dès juillet 62, sont rentrés à la suite des blindés de l´état-major pour recueillir les fruits par d´autres mûris.