«Washington veut faire d´Israël une tierce partie dans tout accord commercial avec un pays arabe, dans le cadre de son projet de réformes politiques et économiques dit projet Grand Moyen-Orient», affirme l´ancien Premier ministre égyptien, Ali Lotfi, dans une étude. Ce principe défendu par la Maison-Blanche trouve son illustration dans l´accord que signera l´Egypte le 14 décembre prochain avec Israël et les Etats-Unis et qui prévoit de créer deux zones de coopération industrielle privilégiées avec son voisin hébreu, en visant essentiellement le marché américain, «débouché principal de son industrie d´habillement». On est un peu dans une partie de billard : ce n´est pas la bille que vous frappez qui est votre cible. L´angle de tir et l´effet de rotation vous permettent d´atteindre deux autres billes par le biais de celle que vous touchez avec la queue de billard. C´est ce que les amateurs de ce jeu appellent le carambolage. Pour en revenir à l´accord tripartite entre les Etats-Unis, Israël et l´Egypte, il faut savoir qu´il prévoit que les produits égyptiens mis sur le marché américain doivent comporter au moins 11,25 % de composants israéliens, à l´instar de ce qui existe déjà dans les zones de coopération entre Israël et la Jordanie. C´est ainsi que les entreprises jordaniennes sont autorisées à exporter vers les Etats-Unis des produits fabriqués en commun avec des entreprises israéliennes. La conférence de Barcelone de 1995 qui avait réuni les pays des rives sud et nord de la Méditerranée ne visait rien moins qu´à créer une zone de libre- échange dans le Bassin méditerranéen à l´horizon 2015 en insérant Israël dans ce grand ensemble économique, d´autant plus que la situation géopolitique encourageait de telles projections optimistes, à la suite de la signature des accords de paix israélo-palestiniens préparés à Oslo, en Norvège. Par conséquent, aussi bien pour Washington que pour l´Union européenne, Israël apparaît bien comme le passage obligé à tout accord commercial d´envergure. Malheureusement, l´évolution de la situation au Proche-Orient, avec l´aggravation de la tension entre Israël et l´Autorité palestinienne, n´a pas permis d´aller plus loin dans cette direction. Il ne fait aucun doute que la réalisation du projet Grand Moyen-Orient défendu à Sea Island en juin 2003 devant le G8 par George Bush va buter encore longtemps sur le mur de ce conflit israélo-palestinien. La plupart des capitales arabes, surtout celles qui sont réfractaires à toute idée de démocratisation, trouvent là un prétexte en or pour demeurer fermées aux avances américaines. On en a eu la preuve au sommet de la Ligue arabe à Tunis en 2003 où des pays comme l´Egypte et l´Arabie Saoudite avaient pris la tête d´une fronde contre le projet GMO. «Tout processus de réforme doit venir de l´intérieur, car les initiatives de l´extérieur ne feront qu´entraver les efforts des réformateurs dans notre région», avait déclaré le roi Abdellah de Jordanie, dans une interview publiée en juin. C´est l´avis d´un souverain. Avis qui n´est pas partagé par la rue arabe, qui appelle de tous ses voeux des réformes démocratiques et une modernisation de la société. On attend d´en savoir un peu plus à l´occasion du Forum de l´avenir qui doit s´ouvrir le 11 décembre prochain à Rabat, et qui doit réunir les ministres des Affaires étrangères et des Finances de plus de 20 pays arabes, aux côtés de ceux du G8 et des délégués d´ONG. Les thèmes soumis à débat concernent «la promotion des valeurs universelles que sont la dignité humaine, la démocratie, le progrès économique et la justice sociale». Qu´on le veuille ou non, l´immobilisme qui bloque le monde arabe et qui pousse au pessimisme et au désespoir de larges couches de la population, a certainement besoin d´être secoué comme un cocotier, de l´intérieur et de l´extérieur.