Un homme a été retrouvé mort à Mostaganem, à l´ouest du pays, un SDF connu sous le nom d´Abdellah. Le froid de ces trois derniers jours a eu raison de lui. Le correspond de l´APS qui rapporte l´information dit qu´avec sa barbe hirsute, Abdellah a été découvert sur un matelas, drapé dans une couverture qu´une âme charitable lui a offerte pour se protéger du froid glacial de l´hiver. La scène s´est passée à Mostaganem, mais le drame aurait pu survenir dans n´importe quelle localité ou ville d´Algérie. La période qui s´étale du 20 décembre au 1er janvier, et qui correspond dans certaines contrées à la célébration des fêtes de fin d´année, amène des vagues de froid générées par la dépression qui affecte les îles Baléares et par les infiltrations de froid qui viennent de l´hémisphère nord. En fait, le globe terrestre est un mouchoir de poche. Une faible perturbation dans un coin de la terre entraîne des orages et des ouragans violents à l´autre bout de la planète. Et en Algérie, qui est un pays généralement ensoleillé et au climat méditerranéen doux et tempéré, on est toujours surpris par ces sautes d´humeur de la météo et ces brusques quintes de toux saisonnières. Si la majorité de la population est à l´abri, bien au chaud, dans des maisons, entre quatre murs, il ne faut pas oublier qu´il existe, surtout dans les grandes villes comme Alger, Oran, Annaba, Constantine, toute une catégorie de citoyens démunis, que la loi considère comme des vagabonds, et qui dorment toutes les nuits sur des bouts de carton, sous les arcades quand c´est possible, mais très souvent à la belle étoile, sur un banc public dans un parc ou un square, peut-être sous un arbre pour les plus romantiques ou les plus frileux. Quelle place reste-t-il pour le romantisme quand la société avec toutes ses institutions vous rejette et vous renie? Vous ne connaissez personne qui réponde au nom d´Abdellah? Mais il y a sûrement dans votre entourage quelqu´un qui s´appelle Abdellah, ou Jamel, ou Bouzid, ou Lounès, ou Ahmed, ou Younès. Le nom importe peu en fait. On a celui que nos parents ont décidé de nous donner à notre naissance.SDF ou pas, ces Abdellah et ces Younès ne sont pas venus de nulle part. Et surtout pas d´une planète lointaine. Ils ne font pas partie des extraterrestres, ces petits bonhommes verts dont les auteurs de science-fiction peuplent nos écrans. Ils ne sont pas apportés dans un panier par les cigognes et on ne les a pas trouvés dans un chou. L´un d´eux, si on le regarde bien, est peut-être notre frère, notre voisin, un ami d´enfance oublié dans les méandres de la vie parce qu´il y a longtemps qu´on ne l´a vu, un camarade de classe avec qui on a usé nos fonds de culotte et qui a été happé un peu trop tôt par les vicissitudes de l´existence, trop tôt devenu adulte pour aller subvenir aux besoins de sa famille - à cause du décès précoce d´un père, - un fardeau trop pesant pour des épaules encore frêles. Abdellah, nous précise le correspondant, est un quadragénaire, connu dans la ville comme un déficient mental. Il faisait partie du personnel de gardiennage de l´école régionale des Beaux-Arts de la ville, avant de sombrer dans la déraison. La neige quand elle tombe enveloppe les hauteurs dans un blanc manteau, dans une pureté virginale qui fait honneur aux plus beaux matins du monde. Ce n´est donc pas elle qu´il faut incriminer pour les malheurs d´Abdellah, et de ses frères SDF comme lui, qu´ils soient d´Alger ou de Mostaganem, mais c´est bien la société qui est responsable au premier chef de ces drames au quotidien, elle qui n´a pas fixé de frontières entre la sagesse et la déraison, ce seuil au-delà duquel on est rejeté loin de la chaleur et de la douceur des foyers. La société est une marâtre qui fait souffrir les enfants qu´elle ne reconnaît pas.