«Quoique vert, ce poulet doit être bon à manger.» Ce n´est pas d´un poulet rôti qu´il s´agit mais d´un perroquet vivant qui s´est échappé de sa cage, qu´un chat essaie d´attraper et que Théophile Gautier décrit avec sa verve habituelle. Un poulet vert, qui n´est qu´un perroquet, est l´image que nous renvoie un monde arabe désuni, et qui n´est décidément pas mûr pour les transformations démocratiques auxquelles aspirent ses peuples, du Golfe à l´Atlantique. Vert ou cru, non cuit, non apprêté, tel quel dans sa brutalité originelle qui remonte à la Djahilia, le monde arabe déjoue tous les pronostics, tous les diagnostics. Quand la question principale qui se pose se résume à «Viendra, viendra pas?» Quand le fait de marquer sa présence devient en lui-même un enjeu, c´est que le jeu n´en vaut pas la chandelle. A l´exception de l´émir du Qatar, tous les autres monarques ou roitelets du Golfe, plus celui de la Jordanie, ont boudé le sommet d´Alger, leur sommet. Des différends interarabes ont, dit-on, justifié ces absences. Des susceptibilités personnelles d´un autre âge, alors qu´à ce niveau de responsabilité et de représentativité, les services de protocole sont là justement pour aplanir ces difficultés et éviter les poignées de main... fraternelles non souhaitées, à défaut des engueulades et de crêpages de chignon. Mais sur la scène arabe, on n´en est pas à un anachronisme près. Ainsi donc, bien qu´on ait revu à la baisse le SMIG de réformes à prescrire à la Ligue arabe et aux ... régimes arabes, ceux-ci continuent de couver leurs privilèges et leurs dictatures comme des mères poules. Jusqu´à ce jour, le conflit israélo-arabe a été l´arbre qui a caché la forêt, donnant aux différents gouvernements arabes le soin de s´en sortir à bon compte en exhibant leur chéquier pour, semble-t-il, soutenir la cause sacrée face à l´ennemi commun héréditaire. Mais voilà qu´il faut parler d´autres choses, parce que la cause palestinienne, ce sont les jeunes Palestiniens qui la défendent le mieux, en affrontant avec leur poitrine nue les chars de Sharon. Dorénavant, il n´est plus question de contourner les questions qui fâchent: la démocratisation, les droits de l´homme, le statut de la femme, la nécessaire réforme du système éducatif qui continue de former l´homme de demain selon les conceptions d´un autre temps. L´existence d´un parlement supranational arabe posera à terme la question du Parlementarisme et du suffrage universel dans chacun des pays arabes. On a beau réaffirmer que chacun ira vers la démocratisation à son rythme, il n´en demeure pas moins qu´on ne peut pas plus longtemps contenir la pression de la cocotte minute, sachant que les réformes à doses homéopathiques ne durent qu´un moment. Quand le fruit devient trop mûr, il tombe de lui-même, et plus dure sera la chute. Si le 17e sommet de la Ligue arabe consacre le retour de l´Algérie sur la scène arabe, c´est justement parce que notre pays a été voué aux gémonies depuis l´ouverture pluraliste consacrée par la Constitution de 1989. En d´autres termes, le 5 Octobre 1988 n´a pas secoué que le cocotier de la pensée unique algérienne. Son onde de choc a affecté l´ensemble du monde arabe, à la manière d´une bombe à retardement. C´est maintenant que ses effets se font sentir, effets amplifiés par les attentats du 11 septembre à New York et du 11 mars à Madrid. Au moment où le chef du gouvernement espagnol, Zapatero, invitait les chefs d´Etat arabes au dialogue des civilisations, ces derniers, mis à part ceux du Maghreb, n´étaient pas là pour lui répondre. Quoique vert, le perroquet n´a pas retenu sa récitation. C´est pourtant la seule chose qu´il sait faire.