La démarche de réconciliation nationale gagnerait à ce que son contenu soit négocié et explicité dans le cadre, par exemple, d´une conférence nationale afin qu´elle intègre toutes les aspirations, que tous se rendent compte qu´il faudrait raccourcir les distances et se rencontrer là où il y a un consensus. Il serait hautement improductif que soient validés des éléments pouvant fonder la perception selon laquelle cette démarche procéderait de l´unilatéralisme alors que son succès impose qu´elle devrait être multilatérale. Le risque serait grand que ne se réalisent pas les convergences et que soit consolidé le clivage entre ceux qui soutiennent par conviction ou parce que ce serait là leur mission, et ceux qui s´y opposent par conviction ou parce que ce serait là leur mission. Dans les conditions où ne s´affrontent pas les points de vue, dans un cadre organisé, les échanges de concessions risqueront de n´avoir pas lieu alors qu´il s´agit du fondement de la réconciliation elle-même. Ne seront susceptibles de se réconcilier que ceux qui se seront écoutés auparavant, car s´écouter est déjà la première étape du processus de l´acceptation de l´autre. Les échanges de concessions traduiront ensuite les disponibilités à se pardonner mutuellement et à assainir le champ politique et la vie en société de tous les germes qui avaient servi de source de tels conflits, car il ne suffit pas de se pardonner pour le passé sans immuniser l´avenir contre la résurgence de tels phénomènes porteurs de graves antagonismes. La confrontation pacifique est, certes, douloureuse mais le mal s´éclipse parfois par l´acceptation de la douleur. Tous ceux qui sont passés chez leur dentiste en comprennent bien le sens. Il ne s´agit pas de libérer les consciences, car en chacun devrait subsister un sentiment aussi faible soit-il, sinon de sa culpabilité du moins de sa responsabilité car il serait grave, pour l´avenir, que chacun se donne raison pour ce qu´il a fait ou pour ce qu´il a été amené à faire, ce qui signifierait qu´il serait disponible à le refaire dans des circonstances identiques. Ce sont ces circonstances identiques dont il faudrait conjurer la réédition qu´il faudrait analyser et auxquelles il faudrait apporter un traitement. Ce sont ceux qui créent ces circonstances, à partir des positions d´influence qu´ils occupent dans les institutions, dans le champ politique légal, en marge du champ politique légal, au sein de la société qui doivent procéder à ces analyses, en démonter les mécanismes pour créer les conditions futures de l´interdiction de leur résurgence. La réconciliation nationale intéresse le bas, parce que à ce niveau, il y a eu du suivisme parfois inconscient. Elle intéresse le haut, c´est-à-dire le niveau de création de circonstances, elle intéresse le haut et le bas, les uns pour avoir entraîné les autres et les autres pour avoir donné aux uns les éléments de leur puissance, une puissance bien illusoire, bien temporaire car il y a toujours le temps de l´interrogation des consciences, le temps de l´entrée dans l´histoire par la mauvaise porte.