Faut-il, comme le disent beaucoup de nos concitoyens, faire du journal El Moudjahid ce qu´on aurait dû faire du parti FLN, le reléguer au musée afin que tous les patriotes sincères puissent s´y reconnaître? Au moment où s´organise un colloque au sujet de ce monument, cette pierre angulaire de la presse nationale, un regard en arrière s´impose pour évaluer les cinquante années parcourues par celui qui aura connu toutes les aventures et tous les avatars. Pour célébrer ce cinquantième anniversaire, une équipe sympathique est en train de concocter un documentaire sur ce prestigieux journal avec pas moins de dix-huit interviews des survivants de cette merveilleuse aventure qu´est le parcours d´El Moudjahid. Créé à l´initiative de Larbi Ben M´hidi et de Abane Ramdane, ces deux grands intellectuels de la Révolution, qui ont été supprimés surtout parce que c´étaient des intellectuels qui ne connaissaient pas de compromis. Le regretté Mohammed Teguia, dans son livre L´Algérie en guerre, n´a-t-il pas relevé que la disparition de Ben M´hidi a suivi la parution d´un de ses articles, article où il affichait franchement l´avenir de la Révolution algérienne, car il voyait en la guerre de Libération, une véritable révolution. Créé pour doter le FLN / ALN naissants d´une arme moderne pour contre-balancer la formidable machine de propagande dont disposaient l´armée et les colons, El Moudjahid fut un outil nécessaire pour informer les combattants des maquis sur l´évolution de la situation militaire et politique de la résistance. Imprimé simultanément en Tunisie et au Maroc à l´époque où le fax n´existait pas encore, le même numéro pouvait présenter une pagination différente selon le pays où il était imprimé. Outil de mobilisation aussi efficace que Saout El Arab, le journal aura connu des mésaventures: intercepté par les forces coloniales, il subissait des services psychologiques de l´armée française, de curieuses métamorphoses. De fausses informations étaient glissées au milieu des vraies, et le journal inondait les maquis. Mais c´était sans compter sur la vigilance des patriotes. Cependant, le journal aura connu une fausse note: la fausse information sur la cause de la mort de Abane Ramdane. Donnée avec quatre mois de retard, la nouvelle fut perçue comme un mensonge éhonté indigne d´une presse militante. Mais c´était la guerre et les pages glorieuses du journal, où toutes les plumes célèbres du Gpra et de l´Algérie combattante ont laissé des traces indélébiles, demeurent une source inépuisable d´informations pour les futurs chercheurs. C´est comme cela que Abane Ramdane concevait la lutte: sur tous les fronts. Ne fut-ce pas lui qui mit sur pied un service du film au front? Après l´indépendance, El Moudjahid, comme quotidien, fut remplacé par Ech-Chaâb. Après 1965, débarrassé de son concurrent Alger-Républicain, interdit par le pouvoir, il fut de toutes les tâches d´édification nationale. Mais il devint le fidèle porte-parole du pouvoir en place. La langue de bois usa son influence mais il demeura, malgré tout, une excellente école d´où sortirent de talentueux journalistes qui s´épanouiront dans la presse privée. Alors, faut-il reléguer El Moudjahid aux archives?