«Je m´empresse de rire de tout de peur d´être obligé d´en pleurer.» Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (Le Barbier de Séville) Il n´y a rien à dire: l´humour, c´est comme le bâtiment, quand il va, tout va... De travers bien entendu! Il faut reconnaître que par l´humour, on peut faire passer beaucoup de choses qui ne sont pas permises quand elles sont énoncées sur un ton doctrinal: castigat ridendo mores! (elle corrige les moeurs en riant), disaient les Anciens. Les humoristes ont la faculté de toucher du bout du mot là où cela fait mal tout en chatouillant leur victime, pour lui faire comprendre que tout n´est que plaisanterie et que la vie est une farce macabre... Ce sont les humoristes qui font avancer la société sur le plan des moeurs et de la liberté d´expression. Cette forme de critique sociale est tellement efficace qu´il n´est pas rare que les hommes politiques s´en emparent pour tourner en dérision leurs adversaires. Et ce style a la faveur du public qui savoure les blagues sur ceux qui les roulent dans la farine: c´est un peu leur revanche. C´est la raison pour laquelle la satire politique fleurit dans les pays à régime démocratique où nul n´est à l´abri de la risée pour peu que son profil et son comportement s´y prêtent. Ce qui n´est pas le cas des pays où sévissent les régimes autoritaires qui ne permettent pas qu´on se f... de leur gueule alors qu´eux-mêmes ne se privent pas de se f.... de la nôtre à travers leurs discours démagogiques ou par leurs initiatives qui font le malheur de leurs peuples. C´est pourquoi, dans les pays de dictature, on ne permet que le vaudeville. C´est ainsi que ces tristes pays sont condamnés à une stagnation tous azimuts: sur les plans culturel et économique. L´évolution de l´humoriste a été telle qu´il est devenu un baromètre de la société où il vit. Ce n´est pas pour rien que, vingt-cinq ans après sa disparition, (soit dit en passant qu´il est mort tragiquement un 19 juin - je dis bien 19 juin - 1986) Coluche est célébré pour avoir changé l´humour français en transgressant tous les tabous, en utilisant le langage populaire, celui qu´on parle dans la rue et dans les bistrots, en bannissant les jeux de mots stériles et les calembours désuets et surtout en s´attaquant aux hommes politiques. Ce sont les paradoxes et les contradictions du monde politique qui l´inspirent. Le premier sketch, celui qui l´a distingué de tous les autres humoristes est l´inénarrable «C´est l´histoire d´un mec...» qui raconte, à travers, les hésitations, les bégaiements et lapsus, la difficulté à raconter une histoire. Comme dans notre cher et beau pays, il n´y a pas de tradition d´humoristes qui s´attaquent au monde politique pour la bonne raison que tous nos hommes politiques sont irréprochables: ils sont bons, courageux, généreux, francs et honnêtes, le pauvre raconteur de blagues qui s´aventurerait demain à essayer de faire rire ses concitoyens sur la tragédie qu´ils ont vécue ou qu´ils vivent présentement, aura du mal à trouver une source d´inspiration à cause de l´omerta qui règne dans tous les milieux où se concoctent toutes les bonnes recettes pour couler le radeau de la Méduse... Tous ceux qui s´y sont essayés n´ont jamais pu citer un nom propre même s´il a été éclaboussé dans un ténébreux marché de gré à gré ou dans une sombre affaire de ristourne ou de détournement... Tous ceux qui ont fait fortune ici, ont été touchés par la grâce de Dieu, et n´ont bénéficié d´aucun trafic d´influence, ni dans les commissions des marchés, ni aux douanes et encore moins aux contributions. Notre pauvre humoriste pourra toujours bégayer en essayant de relater l´histoire de cinquante années de bricolage: «C´est l´histoire d´un pays...».