C´est un homme hors du commun. Un homme irremplaçable. Un homme de ceux qui nous permettent, nous Algériens, de vivre libres. Que ceux qui n´étaient pas de ce monde durant la colonisation sachent que c´était l´enfer pour les «indigènes» comme on nous désignait à l´époque. Que nous étions tolérés à la périphérie des villes dans des habitations précaires. Juste pour avoir des bras à proximité (dockers et autres agents de la voirie). Pour se faire une idée et s´il prenait par hasard à l´Algérien (l´arabe) de s´aventurer à la rue Michelet (aujourd´hui Didouche Mourad), il était, à tous les coups, interpellé par les policiers et conduit au poste pour un contrôle d´identité. Un contrôle bien humiliant pour bien notifier à l´intéressé de ne plus jamais revenir en ces lieux. On avait le profil bien bas à l´époque. On rasait les murs. Le dos voûté sous le poids de la misère et de l´humiliation. A peine si l´on ne demandait pas pardon d´exister. C´est dans une telle atmosphère de négation de la condition humaine qu´un homme comme Larbi Ben M´hidi et quelques-uns de ses compagnons ont décidé de secourir leurs compatriotes, pauvres hères que nous étions. A mérite égal, Si Larbi se détachait du groupe. A sa prise de conscience précoce, au sens de l´organisation reconnu est venue s´ajouter son aura soulignée par ses adversaires et son courage salué par l´ennemi. Le commun des mortels retiendra cette photo-document où Si Larbi, menottes aux mains, a un sourire à double message: serein, pour que les Algériens ne perdent pas confiance en eux et condescendant pour les adversaires leur signifiant une défaite inéluctable. Un sourire qui, pour tous les Algériens, sera à jamais plus précieux que celui de toutes les Joconde du monde. Alors que le général Bigeard qui l´a combattu lui a maintes fois rendu hommage, alors que le sanguinaire général «O» alias Aussaresses ne cesse de voir sa conscience tourmentée à mesure qu´il se rapproche de la tombe, comme s´il avait peur de Si Larbi dans l´au-delà, l´évocation de la vie de Ben M´hidi est très peu mise en relief pas ses compagnons. Pas plus tard que lundi dernier, Aussaresses, le borgne, a encore avoué, à l´occasion du 50e anniversaire de son crime, dans un entretien au quotidien français Le Monde, avoir pendu Si Larbi. Il raconte comment il s´y était pris. Qu´il lui a fallu s´y reprendre à deux fois. La première fois, la corde avait cassé. Que Ben M´hidi avait refusé de se laisser bander les yeux. Pourquoi, et paradoxalement du côté des compagnons de Ben M´hidi, c´est le silence? Leur fait-il de l´ombre à ce point? Une chose est sûre: le peu de responsables qui, poussés par d´autres considérations, ont été obligés de citer l´homme dans leurs écrits, l´ont fait de manière détachée. On a la nette impression qu´ils auraient même évité d´en faire mention si les faits ne leur faisaient pas obligation. Si Ben M´hidi ne fusionnait carrément pas avec les faits d´armes qu´ils rapportent. A lire certains livres, c´est même plus grave. Il s´en dégage l´idée que Ben M´hidi se trouvait à la Casbah pour se cacher. Un refuge pour le fugitif qu´il était. Alors qu´il était Responsable du CCE et qu´il avait sous ses ordres le commandement militaire de la Zone autonome d´Alger. Que c´était lui qui était le concepteur de la grève des huit jours. A peine si cette action ne fut pas critiquée. Alors qu´elle a, sans conteste, permis à l´Assemblée générale des Nations unies qui se tenait au même moment, d´avoir la confirmation de la représentativité populaire du FLN. Quoi qu´il en soit, l´Etat algérien se doit de rendre les honneurs à la mesure de ce Chahid hors du commun. Ce Chahid qui est une grande fierté pour les Algériens qui lui doivent d´être libres aujourd´hui. ([email protected])