Une grande chaîne internationale de fast-food vient d´ouvrir son premier restaurant à Alger. Restaurant c´est trop dire parce qu´on y mange sur le pouce. C´est plutôt entre la cantine et la gargote. Avec une touche pour l´hygiène et l´éclairage des lieux. Pour le reste, c´est-à-dire ce que l´on y mange, on ne peut pas faire pire. C´est la recette que les Etats-Unis et l´Europe décrient et accusent d´être à l´origine des dégâts de l´obésité parmi leurs populations. S´il est prouvé que les hamburgers à des sauces diverses font partie de la très mauvaise bouffe, chez nous, les consommateurs se bousculent au portillon pour avoir leur sandwich. Les Algériens mangent très mal, cela est connu. Les raisons? Elles sont d´ordre historique et culturel. Durant des siècles, l´Algérien a été soumis par les différents conquérants à la disette avec des pointes de famine. Ce n´est pas par hasard qu´aujourd´hui encore, lorsqu´un morceau de pain traîne par terre, l´Algérien le ramasse pour l´embrasser. Pour avoir vécu l´éternité avec la faim au ventre, l´Algérien est loin de faire la fine bouche. Cela viendra sûrement un jour mais en attendant, il mange très mal. La quantité prime la qualité. Il faut plusieurs générations pour avoir des palais et faire des gourmets. Pour l´heure, nous n´avons que des «gosiers», comme l´a déclaré avant son départ en exil, le regretté Kaid Ahmed. Une situation qui arrange bien les affaires de tous ces maquignons qui ont élargi leurs activités aux brochettes jusqu´à en faire de hauts lieux de fausse gastronomie. Les Algérois se rendaient aux abattoirs avant leur démolition à l´occasion de grandes sorties. Même les grands hôtels ont perdu leurs chefs et n´offrent que des plats insipides. Chercher dans tout le pays une bonne table où se faire plaisir et déguster de bons plats raffinés, c´est chercher une aiguille dans une botte de foin. D´ailleurs, même les chercheurs sont rares. Les seuls consommateurs que nous pouvons rencontrer dans le pays ne sont exigeants que sur la quantité qui leur est proposée. La référence est là. Depuis l´indépendance, nous en sommes encore- et c´est normal- à la grande bouffe. Pour la gastronomie, qui relève de la culture d´un peuple, théoriquement, nous avons un ministère chargé de cet aspect. Théoriquement car nous avons beau cherché des activités en ce sens, nous n´en trouvons malheureusement rien. Pas le moindre soupçon d´un concours de la meilleure «tchoukhtchoukha» qu´elle soit algéroise, biskrie ou de tout autre région du pays. Aucun prix d´un meilleur Chef de cuisine bien de chez nous. Aucune rencontre culinaire régionale n´est organisée. Un secteur déserté par notre ministère de la Culture alors qu´il est reconnu universellement que la gastronomie fait partie intégrante du patrimoine des peuples. «Dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es» est un axiome lourd de sens s´il venait à être appliqué aujourd´hui pour nous qui mangeons très mal. Toutes les chaînes de fast-food du monde ne suffiraient pas à calmer l´appétit démoniaque d´un peuple qui sort à peine d´une longue, très longue disette. Dans 20 ans, dans 30 ans, pourra s´ouvrir dans notre pays le chapitre de la gastronomie. Un chapitre qui ne pourra s´ouvrir qu´avec l´existence de gastronomes. De gens au fin palais. De personnes totalement indemnes des séquelles de la faim. Une tout autre génération. Aujourd´hui, nous en sommes uniquement à surveiller l´hygiène dans les cuisines. Pour éviter les salmonelles et autres intoxications alimentaires. Sans y parvenir réellement. Alors un fast-food de plus ou de moins... ([email protected])