Je repense toujours à cette fameuse tirade de Shakespeare (dans Hamlet, je crois) où il énonce des vérités éternelles sur la nature humaine: «A world is a stage where everybody plays his part...» Il en est ainsi à tous les niveaux et dans tous les compartiments de la vie: au sein de la famille, à l´école, dans la rue, dans les échoppes, les casernes, les couvents ou les bureaux, chacun joue le rôle que lui a octroyé la société organisée. Chacun peut apprécier les performances de l´acteur quand celui-ci s´exécute à la lumière du soleil ou sous les projecteurs braqués sur lui par les médias. Cependant, ce rôle peut virer à 180 degrés dès que l´acteur se retire dans la pénombre de l´intimité, le coin obscur de l´alcôve ou le clair-obscur des arrières-boutiques...Ainsi, j´aime à penser que le macho qui se la joue dur devant les voisins baisse la tête dès qu´il entre dans ses pénates pour faire le joli coeur devant la mégère non apprivoisée qui lui sert de conjoint. En politique, c´est encore plus grave: celui qui, fier comme Artaban, plastronne devant les foules ou les militants admiratifs, avec le geste large et auguste, le doigt menaçant ou invocateur, le verbe péremptoire et la mèche rebelle balayée d´un geste empreint d´une négligence calculée doit adopter un autre comportement devant ceux qui ont concouru financièrement à son élection. J´aime à penser qu´il doit se montrer conciliant avec les milliardaires qui lui ouvrent les portes de leurs somptueuses villas, lui offrent des croisières à l´oeil sur des yachts de luxe en attendant qu´il leur renvoie l´ascenseur. Devant les démiurges, il devra courber l´échine, rentrer la tête dans les épaules dans ces lieux retirés où seul Dieu est témoin. Cependant, ce n´est pas cela qui est dérangeant. Ce qui heurte la conscience, c´est bien le divorce qui existe entre les promesses, les discours et les actes. Et cela, surtout en politique. Car, comme chacun le sait, si la comédie est surtout visible sur les tréteaux, au théâtre, elle s´exerce surtout dans les sphères de la politique où le paraître est beaucoup plus important que l´être, et c´est à celui qui possède le plus large spectre de rôles et le plus de talent pour composer les différents personnages qui exigent des circonstances sans cesse fluctuantes. Et c´est un spectacle sans fin que l´homme politique doit produire sans cesse afin de donner le change aux millions de (télé) spectateurs qui ont les yeux rivés sur ses moindres faits, gestes et paroles. Certes, il ne compose pas tout seul son personnage: en fonction de son importance, il dispose ou peut disposer d´une armada de conseillers: un conseiller en communication, un spécialiste du relooking, un professeur de diction, des écrivains pas publics pour composer chaque partition qu´il doit exécuter. Mais il y a des hommes qui forcent un peu la dose et continuent à se comporter toujours comme en campagne électorale: ils continuent à pratiquer les sports qui ne sont pas leurs favoris: jogging, vélo, cheval pour montrer à la galerie leur forme. Il donne en écrasant une larme d´un geste affectueux sur la joue de sa future ex-femme. Il fait de belles phrases avec des effets de rhétorique à faire pâlir les auteurs de boulevard...Il est conciliant avec les grands, vilipende les faibles, fait de l´excès de zèle...Il récite devant le congrès une leçon d´histoire bien apprise: quel bon élève! Ce n´est pas le même qui menaçait de nettoyer les banlieues devenues calmes au Kärcher...Il libère des otages, s´affiche avec eux, fait des cadeaux fiscaux aux nantis, se montre inflexible avec les syndicats qui multiplient grèves et manifestations. Qu´importe si les problèmes demeurent ou s´aggravent puisque la presse est bonne et consentante...Le spectacle continue malgré les huées...