Aami Rabah est furieux! Son regard, d´habitude éteint exprime toute sa colère et son indignation! Il n´est pas seulement contrarié par la gymnastique qu´il doit imposer à son vieux corps délabré pour arriver au guichet de poste à temps pour toucher sa maigre retraite en dinars. Arrivé parmi les premiers, sa carte magnétique à la main, il a été refoulé pour une raison aussi simple qu´inattendue: le distributeur était en panne et il a dû retourner chez lui pour chercher un des rares chèques dont il use avec parcimonie tant toute demande de nouveau chéquier est devenue incertaine pour ne pas dire aléatoire. Le matin, il fulmine contre la banque française qui lui retient en otage cent malheureux euros auxquels il trouvera un usage pratique: malgré de multiples courriers, ladite banque lui a demandé de se présenter pour solder son compte. Dépenser plus de 30.000DA pour en récupérer le tiers! Il ne manque pas de culot dans cette banque qui a déjà connu un retentissant scandale financier! Ami Rabah n´arrête pas aussi de verser son fiel contre son voisin du dessus qui ne se décide pas à réparer sa fuite d´eau dans la salle de bains. Et cela fait sortir Ami Rabah de ses gonds d´autant plus que le voisin indélicat ne manque pas de culot: non seulement il lui a demandé de ramener lui-même un plombier mais il vient par-dessus le marché d´introduire dans la cave qu´il a indûment occupée, 15 moutons mâles qu´il a achetés à un maquignon, pour pouvoir les revendre à bon prix à l´occasion de l´Aïd El Adha. Aami Rabah qui habite juste au premier niveau, au-dessus des caves, n´en dort plus! Toute la nuit, c´est un concert de bêlements qui agite le sommeil déjà léger des malheureux locataires. «Vous vous rendez compte!» se lamente Ami Rabah. «Nous sommes à plus de 15 jours de l´Aïd et déjà, nous sommes agressés par les bruits et les odeurs insupportables d´écurie qui remontent par les voies d´aération et les vide-sanitaires qui aboutissent à la cave: c´est indécent que des individus s´adonnent à des activités lucratives aux dépens des règles d´hygiène et des relations de bon voisinage que nous nous efforçons d´entretenir. Cet individu oublie que nous vivons dans un immeuble et que tous les locataires pâtissent de cet état de choses dont il est le seul bénéficiaire. Et qu´il n´y a aucun recours contre ce genre d´individus!». Un des vieux lui suggéra de formuler une pétition et de la porter au service d´hygiène de la municipalité «Ils interviendront illico!» lui a-t-on assuré. «Faire une pétition! Les voisins ne s´entendent même pas pour payer la femme de ménage qui entretient la cage d´escalier. Et puis, à la mairie, ils ont d´autres chats à fouetter! Comment voulez-vous qu´ils s´intéressent à l´hygiène dans les immeubles alors qu´ils n´arrivent pas à préserver les espaces verts créés au sein de la cité. Regardez ce qui se passe!». Ami Rabah montrait de sa canne, fabriquée à partir d´un rejet d´oléastre, un troupeau de moutons qui paissait dans un carré où il y avait un peu de verdure quelques heures auparavant. Un autre troupeau de gamins excitait les malheureux ovins pour les pousser à s´affronter. Un cercle se formait déjà autour des mâles irrités sur l´herbe foulée. Et l´Aïd n´est que dans 15 jours.