L´hiver arrive. Les pluies sont plus fréquentes et les habitants du village hésitent à sortir de leurs maisons. L´obscurité encore présente et le froid aigu qui vous saisit, en sont les principales causes. Pourtant, il faut quitter le confort douillet des petites maisons qui s´accrochent les unes aux autres sous la masse imposante de la colline boisée. Ceux qui ont l´habitude de faire leur prière matinale à la mosquée, sont les premiers à affronter l´air glacial. Après avoir accompli leurs obligations, les uns s´arrêtent un moment au café du coin pour discuter un peu, avant d´affronter une journée de travail, d´autres s´empressent de monter dans le car dont le moteur ronronne déjà depuis une demi-heure sur la petite place déserte. Malgré le froid, la brume ou les menaces de pluie, chacun a déjà dans la tête sa feuille de route pour la journée. En cette fin de novembre, les hommes les plus âgés ont la mission la plus simple et la plus routinière, une fois les enfants envoyés à l´école, ils auront la tâche d´accompagner aux champs, le reste de la famille. C´est la saison du ramassage et de la cueillette des olives. Toute la famille, et principalement l´élément féminin de cette famille, est mobilisée pour accomplir ce rite annuel. Et c´est le patriarche qui est chargé de conduire la brigade féminine. Munis de corbeilles, de paniers, de sacs, de couffins contenant l´inévitable goûter composé de galette, de figues sèches ou le thermos de café, les groupes s´élancent, dès la première clarté du jour, à l´assaut des vergers qui boisent la colline. C´est sur ces terrains incultes, faits de schistes et de grès, que des oliviers ont été plantés là. Leurs troncs noueux font partie du paysage ordinaire et leur feuillage aux reflets bleus et argentés n´attirent guère l´attention des passants. Seuls comptent pour l´oeil exercé et intéressé, les rameaux qui portent les fruits. Et cette année, les branches plient sous le poids des petits grains verts ou violets qui font tache à la périphérie des arbres. «Ce sera une bonne année!», se sont répété les vieux qui ont vu se succéder tant de maigres récoltes. Et pendant que les enfants sont à l´école, que les maris ou les frères sont en ville pour «gagner leur vie», les femmes, avec leur persévérance coutumière, referont les gestes que des générations d´autres femmes ont fait avant elles: courbées ou à genoux, sous le vénérable arbre, elles ramasseront de leurs mains diligentes et habiles, les petits grains verts ou violets qui tapissent le sol, un sol caillouteux où pousse, çà et là une herbe rare et chiche ou des plants de pissenlit. L´homme est monté sur l´arbre pour gauler les grains encore accrochés à la branche. Les vieilles ne manquent pas l´occasion pour rappeler aux brus ou aux jeunes filles dont les rires étouffés ou les coups d´oeil mettent mal à l´aise, la généalogie de toute la famille, parents et alliés, le nombre d´oliviers revenant à leur famille et aux cousins. Chacun reconnaît son olivier dans ce verger qui a jadis appartenu à l´ancêtre qui a planté ces arbres centenaires. Et depuis que les héritages ont morcelé cet immense verger, il n´y a jamais eu de contestation, le sol appartient à toute la famille, et les arbres à chaque foyer. Les vieilles femmes ne manquent pas de rappeler aussi que dans le passé, l´huile coulait à flots: les jarres étaient toujours remplies et la famille échangeait même ses excédents aux nomades qui venaient avec leurs chameaux, apportant sel, blé et orge pour les troquer contre huile et figues sèches. Et les vieilles se désolent toujours d´être toujours tributaires de l´épicerie pour leur cuisine quotidienne, car leur huile devenue précieuse, elles ne l´utilisent que pour la galette, pour oindre le couscous, ou soigner une toux réfractaire.