Les téléspectateurs finiront-ils un jour à s´habituer au nouvel aspect des reporters qui sont envoyés sur le front brûlant des fronts, avec casque et gilet pare-balles? L´information toute chaude qui véhicule de tragiques nouvelles, montrant les bombardements lointains à vif, le ballet incessant des ambulances et les plaintes déchirantes des mères éplorées devant le spectacle navrant des corps d´enfants sacrifiés? L´esprit humain s´habitue à l´horreur et la sensibilité s´use devant la répétition incessante des horrifiantes images faites et retransmises pour susciter, en général, la compréhension et la solidarité envers les victimes de la tragédie. S´il est vrai que la guerre est toujours atroce, il n´en demeure pas moins qu´elle sert la plupart du temps les intérêts d´une classe. Et souvent, cette solidarité affichée a d´autres buts beaucoup moins avouables. Thucydide, dans sa guerre du Péloponnèse, affirmait que ce conflit qui opposa les cités de Sparte et d´Athènes à propos d´une cité alliée agressée, ne servait en fait que la volonté de domination de l´argent et des classes dirigeantes qui s´enrichissaient grâce à la guerre. C´est ainsi que les partis de la guerre prospérèrent, exploitant l´esprit de solidarité propre aux peuples. Les croisades furent organisées pour «libérer» les chrétiens d´Orient, c´était l´excuse officielle. En réalité, c´était la porte de l´Asie que cherchaient les cités commerçantes d´Italie. La guerre d´indépendance de la Grèce souleva un vaste mouvement de solidarité dans la classe intellectuelle européenne qui s´intéressait de plus en plus au déclin du Moyen-Orient, des volontaires allèrent combattre les Turcs au nom de la liberté et de la chrétienté pendant que les troupes françaises s´apprêtaient à coloniser l´Afrique du Nord. Les partis progressistes français, malgré leur idéologie, ne parvinrent pas à soutenir le régime républicain espagnol victime d´un fascisme armé par les nazis. Mourir à Madrid était devenu un slogan pour des volontaires abandonnés à leur sort. La solidarité des peuples peut s´avérer vaine si celle des régimes qui les gouvernent ne suit pas. Et c´est là le drame du peuple palestinien! Que signifient les nombreuses formes de soutien qui se traduisent par l´envoi de vivres, de médicaments ou de médecins quand un des plus formidables instruments d´oppression de l´Occident s´abat sur une population désarmée? On ne peut que rester sceptique devant le geste des organisations turques envoyant des secours à Ghaza: il n´y a pas si longtemps, l´armée turque faisait des manoeuvres conjointes avec l´armée israélienne. C´est le rôle que Washington a dévolu à ce grand pays qui domina, jadis, l´espace méditerranéen. Et c´est l´AKP, parti islamiste, qui est au gouvernement. Faut-il s´alarmer que la tragédie de Ghaza serve aux islamistes pour porter haut les couleurs d´un nationalisme arabe tombé en désuétude à cause des compromissions des élites avec l´Occident? Faut-il rappeler que ces islamistes, sponsorisés par les monarchies du Golfe, ont aidé à l´élimination de Saddam Hussein? A la face des martyrs, un certain intégriste de chez nous fit un discours incendiaire qualifiant Saddam de «Haddam», avant d´aller lui demander humblement une audience après l´occupation du Koweït. Les foules arabes, interdites d´expression et de manifestation, se trouvent dans un terrible dilemme, entre des pouvoirs inopérants et des intégristes opportunistes et aventureux.