Beaucoup de gens arrivaient: l´état des voitures, qui les ramenaient, témoignait de la modestie de leur condition. Le maître des cérémonies gara sa guimbarde près du magasin de légumes et fruits qui fait face au cimetière. Felix Collosi était revenu d´un pas alerte, accompagné d´un homme tout aussi dynamique que lui: c´est un homme d´allure distinguée et au teint olivâtre. Il avait sorti de sa poche un papier qu´il me fit lire: c´était un poème à la gloire des femmes. Il le montra timidement à Djouher Akrour, la poseuse de bombes, qui représentait pour nous celles qui étaient absentes ou qui n´étaient pas arrivées: Zahia Kherfallah, Baya Hocine, Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Hassiba Ben Bouali, Ratiba Chergou, Ourida Meddad et toutes les anonymes qui avaient mis leur jeunesse au service de l´Algérie combattante. L´homme distingué, qui avait un léger accent, passerait pour un diplomate s´il ne s´était pas dépêché de se présenter en voyant mon intérêt: sa carte de visite qu´il me tendit était éloquente. Elle donnait mention de sa double appartenance et de son parcours: Roberto Muniz (dit Mahmoud l´Argentin). Il me confia avec son délicieux accent qu´il était originaire de «Général Villegas», petite ville de la province de Bueno Aires. Il était ajusteur en matrices et était militant syndicaliste dans sa patrie d´origine où il avait animé un mouvement de solidarité d´Amérique latine en faveur de la libération de l´Algérie. Il se rendit dès 1959 au Maroc pour participer à la fabrication de dix mille mitraillettes et de cent mille chargeurs tous destinés à l´ALN. A la fin de la guerre, il fut invité à demeurer en Algérie, non sans avoir préalablement «rapatrié» sa compagne et son fils qui languissaient de lui en Argentine. Voilà ma foi une biographie bien remplie qui devrait inspirer les scénaristes en mal de sujets: la rencontre de Collosi, syndicaliste dans cette école de patriotisme, de syndicalisme et de civisme que fut l´EGA et Muniz, internationaliste argentin tout comme Che Guevara... C´est en tout cas ce que je déclarai à Kamal qui avait commencé à nous mitrailler avec sa caméra, histoire d´immortaliser ces rencontres fortuites, ces instantanés précieux qui devraient témoigner pour les générations futures des concepts de motivation comme: patriotisme, solidarité de classe, combat pour la dignité humaine. Le maître des cérémonies était revenu avec sa guimbarde, ramenant une délicieuse vieille femme aux cheveux blancs, cachée derrière un grand bouquet de fleurs rouges: c´était Annie Steiner, une fée diligente qui, jusque-là, présidait aux offices pour honorer la mémoire de ses frères de combat: Benzine, Maillot, Laban, Audin, Ghenassia de Ténès. Annie fut accueillie chaleureusement par tous les présents: elle exultait de bonheur. Pendant ce temps, Mustapha Fettal nous expliquait comment ils avaient réussi à «retourner» des inspecteurs de police, qui leur remettaient quotidiennement des rapports sur les missions futures des forces de répression: un homme averti en vaut deux.