Mesquinerie L?homme pleurait à chaudes larmes car le défunt n?avait pas eu le temps de lui rembourser son argent. L?histoire que nous rapportons ici se raconte dans les anciennes familles de la Casbah de Annaba. Elle dit, avec des mots simples, les valeurs morales que les gens du petit peuple inculquent, dès leur plus jeune âge, à leurs enfants. D?un foyer à un autre, la trame de la légende de Kouroughli et les personnages varient un tant soit peu mais sa morale, elle, reste intacte. La voici. Un riche commerçant de la vieille-ville se trouvait un jour sur le seuil de l?un de ses nombreux magasins lorsqu?un cortège funèbre passa à quelques mètres de lui. En homme pieux qu?il était, il demanda à son employé de fermer un moment sa boutique et se joignit à la procession qui se dirigeait vers le cimetière de Zaghouane situé non loin. Il avait fait quelques mètres seulement quand il entendit derrière lui un homme qui demandait à haute voix à un autre qui on enterrait. La question posée de la sorte sembla bien effrontée, car il est de coutume dans cette région de ne pas parler dans un cortège par respect pour le mort qu?on accompagne à sa dernière demeure. Le commerçant entendit encore quelqu?un chuchoter à l?importun : «C?est ce pauvre Kouroughli ! Il est mort hier à l?intérieur de la mosquée au moment de la prière d?El-Icha.» Cette nouvelle sembla désoler notre curieux qui se mit à crier sa douleur, non parce qu?il regrettait la mort d?un croyant, mais parce que ce dernier lui devait une somme d?argent qu?il n?avait pas eu le temps de lui rembourser. Il pleurait si fort que le commerçant, irrité par tant de bassesse d?âme, lui intima de se taire et, le prenant par le bras, il le poussa loin de la foule de fidèles qui était arrivée à hauteur du cimetière. «Quel homme es-tu donc pour pleurer comme ça ? Ne penses-tu pas que toi-même tu es mortel ? Alors, dis-moi le montant de la somme que te devait feu Kouroughli et je t?indemniserai sur le champ !», lui lança-t-il. «Soixante-dix douros, Sidi !», répondit le mesquin sans montrer la moindre honte. Cette attitude énerva encore plus le riche commerçant, lequel extirpa sa bourse sans même réfléchir et en préleva deux cents douros qu?il mit dans la main du pleurnichard en lui disant : «Prends cet argent et va-t-en sans te retourner !» Tout content d?avoir récupéré son dû et une rallonge de cent trente douros, l?homme ne se fit pas prier et partit en courant. (à suivre...)