Pour une fois, la présidente du pénal s´est passée d´un témoignage car le détenu s´était mis à table et donc le témoin était resté dehors... au chaud! Tous les dimanches, les mardis et les mercredis, la salle d´audience consacrée à la correctionnelle est bondée. Il y a un monde qui en dit long sur les rôles de la semaine. De Garidi à la Côte Rouge, en passant par Mer et Soleil, La Montagne, Bachdjarah et autre L´Appreval, les délits sont légion. Ce mardi, le client de Maître Benouadhah Lamouri a une mine pitoyable, aussi pitoyable que le faux avec lequel il voulait obtenir un document. Et ce faux est un permis de conduire. Un permis de conduire si mal confectionné que son porteur avait été pris comme un rat dans une pièce sans trou. Mouloud F., la trentaine, est debout face à la rayonnante Nadia Amirouche, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Hussein Dey (cour d´Alger). L´inculpé n´avait d´yeux que pour ce petit bout de femme nichée derrière un immense pupitre qui ne laisse voir que sa très belle paire de lunettes fine qui fait d´elle, Zahia Houari, la procureure, une étudiante en première année, peinarde, chouette! «Alors inculpé, d´après ce que je viens de lire sur le procès-verbal d´audition, vous avez reconnu le délit. N´est-ce pas?», balance presque entre les dents la juge, bien assise, décidée à liquider ce monstrueux rôle. «Oui, madame la présidente, je reconnais avoir acheté ce permis à une personne du côté des Trois-Horloges à Bab El Oued», répond, l´air pas rassuré du tout, Mouloud. La magistrate se ressaisit et demande au témoin de quitter la salle jusqu´à ce que le tribunal l´invite à revenir à la barre. Ce que fit Mohammed Tahar W., lui aussi plus effarouché que l´inculpé. Tenant son menton orné d´un fin bouc poivre et sel, Maître Lamouri était, avec la représentante du ministère public, le plus serein. Vers les onze heures vingt..., Amirouche revient vers l´inculpé et dit, surprenant tout son monde, car des tics sont «pondus» toutes les cinq secondes par Mouloud: «Inculpé, vous n´êtes pas bien. Vous voulez que le tribunal renvoie le procès? Ou bien, nous revenons en fin d´audience?» «Non, non, madame la présidente. Ce que je ne comprends pas c´est ce témoin. D´où est-il tombé? Je ne l´ai jamais vu...» «Ce n´est pas votre affaire, coupe la juge. Contentez-vous de répondre aux questions du tribunal. Le reste ne vous regarde pas. Vous prétendez l´avoir acheté à Bab El Oued. Chez qui?», articule la présidente. Mouloud l´inculpé est presque sûr qu´il va s´en sortir, mais il ignore le but de la question de la présidente. Alors, il va répondre d´une longue phrase et semer la confusion dans l´esprit du tribunal car il soutient fermement avoir rencontré une vieille connaissance dont il a oublié le nom, pris un café avec elle (la vieille connaissance) en discutant d´un peu de tout: «Je lui avais fait part de mon désir de faire le clandestin qui est un excellent créneau. Le jeune m´a alors demandé une commission avant de lui présenter Hichem d´El Hamiz...» «Et vous êtes allés le voir à Bab El Oued. Et puis?», intervient Amirouche qui ne voulait pas s´éterniser sur ce dossier où des «fantômes» sont cités à Bab El Oued, au Hamiz, à La Montagne. Même le témoin n´a pas été entendu. «Oui, sur place, j´ai remis 22.000 DA contre la confection du permis, trois jours après notre accord.» Houari, la parquetière, n´avait aucune question à poser tout comme Maître Lamouri. La première allait requérir une peine de prison ferme de dix-huit mois, et le second n´attendait que l´invitation de la juge pour entamer la «danse du feu» que seul l´avocat de Dar El Beïda est capable d´exécuter: «Madame la présidente, voilà le dossier type qui fait perdre du temps à la justice. On dégotte un jeune homme qui entre dans la trentaine, on trouve chez lui un faux permis et on passera avec lui un temps fou pour trouver l´auteur du faux. Heureusement que le tribunal a su, dès le début, qu´il n´aura jamais les coordonnées du ou des faussaires. Cette pauvre créature a fait économiser un temps précieux à tous les niveaux. Il a reconnu le délit. Que reste-t-il donc à la défense? Si ce n´est une prière adressée au tribunal pour qu´il accorde les circonstances les plus larges à ce pauvre malheureux dont le seul ´´crime´´ aura été de rêver d´être au volant d´un taxi clandestin?», balance, sans ponctuation, l´avocat qui a cependant regretté que la jeune parquetière ait continué sur l´opportunité des poursuites par la faute de la solidarité et l´indivisibilité du siège. «De là où elle est, elle a suivi les débats clairs et brefs. Cela aurait mieux valu demander une amende et éviter l´emprisonnement.» Amirouche baisse les yeux, griffonne probablement le verdict et le chapelet d´attendus avant d´infliger à Mouloud un six mois de prison assortis du sursis. Maître Lamouri salue très poliment et avec beaucoup de joie non cachée, Amirouche et Houari, avant de filer sans perdre de temps vers la sortie, sans se retourner...