C'est parti ! Les observateurs avertis suspectaient bien que la riposte américaine contre l'Afghanistan se produirait, enfin, durant ce long week-end US. Les familles américaines seront vissées à leur écran de télévision pour suivre en direct des images revigorantes des marines US à l'assaut des forteresses afghanes. Ces raids doivent surtout produire sur l'opinion un effet psychologique pour redorer le blason américain terni par l'humiliation subie, le 11 septembre, quand les Etats-Unis ont été castrés à travers la destruction des deux tours du World Trade Center de New York. La vengeance de l'Oncle Sam sera impitoyable! Pour que cette riposte soit entourée des meilleures conditions de succès, l'administration américaine s'est employée, durant quatre semaines, à baliser la route qui mènera ses troupes jusqu'à Kaboul. Sur le plan diplomatique, Colin Powell, le secrétaire d'Etat, s'est assuré du soutien de ses alliés traditionnels. Mais cela ne suffisait pas, car il fallait éviter coûte que coûte que cette nouvelle guerre de l'Amérique ne soit assimilée au concept tant décrié aujourd'hui, celui du «choc des civilisations». Il y a eu, bien sûr, la phrase malheureuse de Berlusconi, le chef du gouvernement italien, qui n'a été, en fait, qu'un avant-goût du bellicisme larvé de l'Occident contre l'Orient. Les pays musulmans ont accompagné les bruits de bottes américains du bout des lèvres. C'est l'Amérique toute-puissante qui a réquisitionné toutes ses forces, toutes ses troupes surarmées pour faire une guerre sans pitié à des gueux dans un pays exsangue, totalement dévasté par plus de vingt-deux ans de guerre. Dans la culture américaine, ce conflit contre les taliban est celui de la guerre du Bien contre le Mal. Du bon contre le méchant. Du manichéisme à bon marché. Quelle sera la réaction demain des masses arabo-islamiques? L'Amérique déjà satanisée dans leur conscience n'en sortira ni indemne ni grandie. Il est fort à craindre que ce déploiement de force infernale de l'arrogante Amérique ne provoque un rejet généralisé des musulmans de Rabat à Djakarta. Oui, les Arabes, les musulmans reprocheront toujours à Washington sa flagrante partialité en faveur de leur ennemi israélien et sa politique de deux poids, deux mesures. Les promesses de Bush junior en ce qui concerne l'Etat palestinien de demain demeureront, à coup sûr, lettre morte. Déjà en 1991, durant la guerre du Golfe, son père, George W.Bush, ne s'était-il pas engagé à trouver une issue rapide et honorable au conflit arabo-israélien? Peine perdue pour les Arabes. Il est vrai que les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent. Maintenant que l'Amérique a frappé l'Afghanistan, le vrai problème de la lutte antiterroriste dans le monde reste toujours posé. Et il ne sera pas réglé tant que les pays qui en ont douloureusement souffert à l'image de l'Algérie, n'obtiennent pas les moyens nécessaires et suffisants pour extirper les racines du mal. Le terrorisme est aujourd'hui un mal endémique, propre d'abord aux pays du tiers monde. C'est vers eux que l'Occident, et en premier lieu l'Amérique, devrait d'abord se tourner et collaborer s'il souhaite, à l'avenir, éviter au monde de nouvelles tragédies. Prions ensemble pour que ces premières frappes américaines contre l'Afghanistan ne soient pas assimilées par 1,5 milliard de musulmans comme l'expression belliqueuse d'une collusion judéo-chrétienne. C'est là que réside tout le danger de la vengeance de l'Oncle Sam. Mais chez les Arabes, faut-il le rappeler, la vengeance est un plat qui se mange froid. Ben Laden l'a promis hier soir.