Je ne sais pas si c´était la douce et fraîche brise du matin qui m´avait réveillé ce matin-là ou le joyeux gazouillis d´un chardonneret amoureux jouant les Roméo à sa belle invisible, à moins que ce ne soit le suave arôme du café chaud provenant de la cuisine... Tout me semblait irréel. Je flottais littéralement sur un nuage de félicité. Je me souviens simplement que je m´étais endormi difficilement dans l´euphorie d´une victoire remportée avec brio par notre Equipe nationale sur une équipe européenne dont le nom ne me revient pas étrangement. Les supporters sud-africains avaient activement participé à ce triomphe grâce à l´enthousiasme, qu´ils avaient déployé et les sons harmonieux de leurs instruments de musique enveloppaient encore mon ouïe de leurs accords séraphiques. Même les supporters égyptiens, se souvenant des dures batailles du passé, avaient fait montre d´une exubérance inaccoutumée: une danseuse du ventre accompagnée de Shehata et de toute sa clique avaient envahi le terrain à la suite du coup de sifflet final et ont donné au public en délire, un spectacle qui effaçait toutes les fitnas passées. Même les présentateurs de «Nilesat» ne tarissaient pas d´éloges sur l´héroïque équipe qui avait vengé tant de défaites et d´humiliations. C´était peut-être pour cela que j´avais dormi comme un ange et que je me réveillais tel quel, les membres reposés et l´esprit clair. Ma douce compagne vint me souhaiter le bonjour avec sa gaieté habituelle et me murmura à l´oreille que le bain était prêt tout comme le café et les croissants chauds... Je nageais dans le bonheur. Quand je sortis dans la rue envahie par des senteurs de jasmin et de fleurs d´oranger, une soudaine ivresse me monta à la tête, surtout que mon voisin du dessous m´avait obséquieusement salué, avec une déférence qui ne lui était pas habituelle. Je ne reconnaissais plus ni le décor ni les gens. Tout semblait propre et les rares passants affichaient tous la mine béate de gens qui avaient gagné au loto. C´en était trop. Je mis tout cela sur le compte du miracle qui s´était produit au pays de Mandela et sur la décision du ministre du Travail d´augmenter toutes les retraites de cinquante pour cent en raison des résultats prodigieux de notre industrie et du progrès à deux chiffres enregistrés par notre croissance économique. J´ai pensé que cela doit donner des cauchemars aux Chinois qui ont dû faire appel à notre main-d´oeuvre spécialisée pour construire le Barrage des Trois Gorges. En échange des contrats mirobolants décrochés par nos ministres au pays de l´Empire du Milieu, notre généreux gouvernement a même fait cadeau d´une mosquée à la ville de Fuzhou, rien que pour enquiquiner les citoyens de Taipei, qui venaient d´ériger une église subventionnée par l´Eglise Méthodiste de la perfide Albion. Je décidai de pousser jusqu´au marché qui est le centre névralgique de notre cité et le pouls de notre pays entier. Là aussi, une ambiance merveilleuse régnait: les jolies vendeuses de fruits s´étaient habillées aux couleurs du printemps et invitaient avec des sourires avenants les rares chalands à goûter leurs jolis fruits exposés dans des petits paniers d´osier: des étiquettes ornaient les monticules de douceurs donnant les prix et l´origine des douceurs: des cerises de Fort National ou de Miliana, des figues de Beni Haoua, des dattes de Farfar, des fraises de Zéralda, des oranges de Sidi Moussa, des raisins dattiers de Sidi Daoud... Les clients choisissaient les fruits et les posaient avec précaution sur le plateau tendu par un main féminine gracieuse. Tout baignait dans l´huile! Un inspecteur de l´hygiène jeta un regard circonspect sur les étals de poissons divers dont les prix modestes témoignaient d´une pêche miraculeuse: il ouvrit les ouïes de quelques spécimens et les montra au garde champêtre débonnaire qui le suivait comme une ombre. Soudain, un cageot mal calé glissa et s´écrasa avec fracas sur le pavé: c´était alors que j´ouvris les yeux sur la pénombre de ma chambre: les enfants du voisinage avaient envoyé un violent coup de ballon sur les volets, me tirant d´un rêve délicieux. C´est alors que le cauchemar commença.