Le train siffle et quitte la gare. Nous le regardons partir avec un sentiment diffus. Celui de l´avoir raté à cause de l´ascenseur. C´est dans l´air du temps, en cette saison des voyages, que de parler de gare. Ceux qui passent au square Port-Saïd de la capitale qui surplombe la gare centrale d´Alger peuvent remarquer un édifice en forme de tube relié au boulevard Zirout Youssef par une passerelle. Le tout fermé et sans âme qui vive. Les plus jeunes et ceux qui visitent les alentours pour la première fois ne le savent peut-être pas, mais le tube relié par une passerelle est un ascenseur qui descend jusqu´en face de la gare centrale. Enfin, qui descendait car il est à l´arrêt depuis très, très longtemps. Il était bien pratique pour les voyageurs des trains qui l´empruntaient avec leurs bagages surtout dans le sens de la montée. Son utilité publique est incontestable. Sa gestion était assurée par l´Etusa (la compagnie des transports publics de la capitale). Oui, car il faut préciser que son accès était payant. Voilà un moyen de transport qui, malgré les ressources qu´il génère et l´envergure de l´entreprise publique qui le gère, est aujourd´hui inopérant. C´est quand même bizarre que la même entreprise qui possède tout un réseau de bus, des téléphériques et même un escalier mécanique qui fonctionnent dans la capitale puisse délaisser un ascenseur (un autre existe, dans le même état, à la rue Ben M´hidi). «Ascenseur» un mot qui fait tilt dans la tête. Un mot qui a fini par avoir une connotation de fatalité pour tous les Algériens habitant les grandes villes. Tous les ascenseurs de ce que l´on appelle le vieux bâti sont à l´arrêt depuis les temps immémoriaux. Si des exceptions existent, il faudrait décerner la médaille du mérite à ceux qui les ont rendu possibles. Ne fonctionnent que les ascenseurs dont sont munis les immeubles construits depuis moins de cinq ans. Pourvu qu´ils tiennent le coup encore. Les plus assurés de rester en service sont ceux des grands hôtels de cinq étoiles et plus. Encore heureux! Mais quelle est cette malédiction qui frappe les anciens ascenseurs de nos grandes villes? Cette même malédiction qui ne veut pas lâcher prise au point que tous nos copropriétaires en arrivent à délaisser allégrement leurs biens communs. A participer à la dévalorisation de leurs propriétés. Car, et malheureusement, il n´y a pas que les ascenseurs qui sont à l´abandon dans les immeubles. Ne soyons pas excessifs pour citer les vide-ordures là où ils ont existé et limitons-nous à l´essentiel, c´est-à-dire à l´hygiène et la sécurité collectives. On peut compter les immeubles dont la porte principale se ferme. On peut aussi compter ceux qui présentent des cages d´escaliers convenables. Par contre, on ne compte plus les fenêtres renforcées de barreaux et autres blindages de portes d´appartements. Tous en sont munis. Là s´arrête (ou commence, c´est selon) la notion de propriété dans l´esprit de nos citadins. Par quel type de raisonnement? Même en convoquant Freud et tous les grands noms de la psychiatrie, il n´est pas certain de pouvoir poser un diagnostic. Ce qui exclut par là même tout espoir de «guérison». Pour la lueur d´espoir, disons qu´il faut laisser du temps au temps. Comment voulez-vous être plus optimistes que cela quand, même une entreprise publique d´envergure comme l´Etusa est gagnée par l´impuissance dès qu´il s´agit d´ascenseur? Voilà pourquoi nous sommes restés si longtemps à méditer au pied de l´ascenseur du square Port-Saïd d´Alger. Un ascenseur qui, même à l´arrêt, génère des ressources. Comment? Par les royalties versées par l´opérateur de téléphonie mobile qui y a installé son antenne relais. La raison aurait voulu que ces revenus servent à la remise en marche et à l´entretien de l´ascenseur qui se trouve bloqué à l´intérieur. Chez nous, il n´y a pas que «le coeur qui a ses raisons que la raison n´a pas». L´ascenseur aussi. Le train siffle et quitte la gare. Nous le regardons partir avec un sentiment diffus. Celui de l´avoir raté à cause de l´ascenseur. ([email protected])